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FRANÇOIS Ier.

de Valois, qui était tout de feu pour les belles dames, ne manqua pas d’en avoir pour la nouvelle reine, et Charles Brandon duc de Suffolk, qui avait aimée devant ce mariage, et qui suivait la cour de France en qualité d’ambassadeur d’Angleterre, n’avait pas éteint sa première flamme. Mais les remontrances d’Artur de Gouffier-Boisy ayant fait prendre garde au duc de Valois, dont il avait été gouverneur, qu’il jouait à se faire un maître, et qu’il devait appréhender la même chose du duc de Suffolk, il se guérit de sa folie, et fit observer de près toutes les démarches de ce duc [1]. » M. Varillas s’est fort étendu sur cette aventure : voici comme il parle, après avoir dit que le comte d’Angoulême [2] eut ordre d’aller épouser à Boulogne la princesse d’Angleterre au nom du roi. « Il ne put s’empêcher d’aimer celle qu’il épousait pour son beau-père [3], comme elle ne put s’empêcher de souhaiter que le ciel lui eût destiné le comte pour mari. La commodité qu’ils avaient de s’entretenir les eût peut-être fait émanciper à quelque chose de plus, si le protonotaire Duprat [4], qui avait été mis auprès du comte, pour modérer en quelque manière les emportemens de sa jeunesse, ne lui eût fait considérer que la nouvelle reine avait intérêt de n’être pas chaste ; parce qu’allant trouver un mari dont tout le monde lui disait qu’elle n’aurait point d’enfans, il était à craindre qu’elle ne succombât à la tentation de tâcher d’avoir un fils, qui lui conservât son rang en France, lorsqu’elle serait veuve, et la dispensât de retourner en Angleterre sous la sujetion de son frère ; mais que pour lui il avait le plus grand de tous les intérêts humains à prendre garde que la reine vécût chastement, bien loin de la solliciter d’incontinence ; puisque si elle avait un fils, quand même ce serait de lui, ce fils l’empêcherait de parvenir à la couronne, et le réduirait à se contenter de la Bretagne que sa femme lui avait apportée ; encore faudrait-il, contre l’ordre de la nature, qu’il en fit hommage à son bâtard. Cette raison ralentit l’amour du comte d’Angoulême, et ne lui fit plus regarder la reine qu’avec des yeux jaloux. Il l’observa de si près, qu’enfin il découvrit l’inclination qu’elle avait pour Suffolk [5]. » M. Varillas rapporte ensuite plusieurs choses très-curieuses concernant les précautions que l’on prit contre Suffolk. Voyez la remarque suivante.

(C) On raconte diversement cette historiette. ] Brantôme ne donne la gloire du sage avertissement ni à Gouffier-Boisy. ni à Duprat, mais à un gentilhomme de sa province. Je suis sûr qu’on aimera mieux ses paroles que les miennes ; ainsi je m’en vais les copier [6] : « On dit que la reyne Marie d’Angleterre, troisiesme femme du roy Louys douziesme, n’en fit pas de mesme [7] ; car se mescontentant et defiant de la foiblesse du roy son mari, voulut sonder le guay prenant pour guide monsieur le comte d’Angoulesme, qui depuis fut le roy François, lequel estoit alors un jeune prince beau et très-agréable, à qui elle faisoit très-bonne chere, l’appellant tousjours monsieur mon beau-fils, aussi l’estoit-il : car il avoit épousé desjà madame Claude, fille du roy Louys ; et de fait en estoit surprise, et lui la voyant, en fit de mesme ; si bien que s’en fallut peu que les deux feux ne s’assemblassent, sans feu M. de Grignaux, gentilhomme et seigneur d’honneur de Perigord, lequel avoit esté chevalier d’honneur de la reyne Anne, comme nous avons dit, et l’estoit encore de la reine Marie ; voyant que le mystere s’en alloit jouër, remonstra à mon dit sieur d’Angoulesme la faute qu’il alloit

  1. Mézerai, Abrégé chronologique, tom. IV, pag. 470, à l’ann. 1514.
  2. C’est ainsi qu’il nomme celui que Mézerai appelle duc de Valois.
  3. La princesse Claude, fille de Louis XII, était mariée avec François Ier.
  4. M. Varillas met ici en marge les paroles suivantes : Il y a des relations qui nomment Gouffier de Boisy au lieu de Duprat.
  5. Varillas, Hist. de François Ier., liv. I, pag. 17.
  6. Brantôme, Dames galantes, tom. II, pag. 117.
  7. Il venait de dire que le reine Louise, femme de Henri III, rejeta le conseil qu’on lui donne, de se faire faire un enfant par quelque autre, puisqu’elle n’en devait pas espérer de son mari.