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FRANÇOIS Ier.

pendus, les autres fouettés et bannis. Procédés qui, joints à tous les autres semblables que j’ai marqués ci-dessus, convainquent évidemment de mensonge cet auteur italien qui a écrit nos guerres civiles de la religion et de la ligue [1], lequel par une grossière oubliance ou par une insigne malice a dit en son premier livre : que du temps de ce roi commença de s’épandre la créance de Calvin, soit qu’il le permît, soit qu’il n’y prit pas garde : et que l’on eut plutôt de la peine et du mépris pour elle, que de l’appréhension et du soin de s’en défendre. Quoi donc, faire six ou sept rigoureux édits pour l’étouffer, convoquer plusieurs fois le clergé, assembler un concile provincial, dépêcher à toute heure des ambassades vers tous les princes de la chrétienté pour en assembler un général, brûler les hérétiques par douzaines, les envoyer aux galères par centaines, et les bannir par milliers : dites-nous, je vous prie, est-ce là permettre, ou n’y prendre pas garde ? sont-ce de simples résolutions, ou bien des effets ? Cela vous avertira, judicieux lecteur, de lire cet étranger avec un peu plus de précaution, et vous donnera peut-être le sujet d’y remarquer quantité d’autres fautes que les curieux ne lui doivent pas pardonner, puisqu’il a ainsi parlé du père des bonnes lettres [2]. » Il serait à souhaiter pour la gloire de ce monarque, que la cause de M. de Mézerai ne fût pas si bonne. Un historien, à qui les ténèbres des préjugés ne cacheraient pas les idées de la droiture et des lois universelles de l’ordre, souhaiterait que les reproches de Davila fussent bien fondés,

Juvat, dirait-il, hæc opprobria nobis,
Et dici potuisse, et non potuisse refelli [3] ;


mais malheureusement je n’ai que trop de raisons d’accuser de calomnie cet Italien : pourquoi faut-il que je l’en puisse convaincre par tant de preuves [4] ? Tout homme qui a les idées de la véritable gloire, et qui a du zèle pour la mémoire de Francois Ier., tiendra ce langage, soit qu’il fasse profession du protestantisme, soit qu’il vive dans la communion romaine ; car il n°y a rien de plus détestable que d’employer les supplices contre ceux qui ne se séparent d’une religion que par la crainte d’offenser Dieu, et qui dans tout le reste se comportent en très-bons sujets ; il n’y a rien de plus raisonnable que de laisser à Dieu seul l’empire de la conscience.

Opposons à Davila ce passage de Brantôme. Les luthériens et ceux de la nouvelle religion ont voulu beaucoup de mal à François Ier., et c’est ce qui leur a donné possible grand sujet de medire ainsi de lui comme ils ont fait, tant ceux de ce temps-là que d’aujourd’hui, parce qu’il en a fait faire de grands feux, et en espargna peu d’eux qui vinssent à sa connoissance ; et dit-on que c’a été le premier qui a montré le chemin à ces bruslemens, d’autant qu’il s’en parloit peu du temps de ses predecesseurs, dieu merci, que Luther n’étoit point encore venu, premier et nouveau heretique, qui eut grande vogue parmi la chretienté, encore qu’il y en eût eu aucuns auparavant. Je laisse cela à ceux qui le savent mieux que moi. Ce grand roi pourtant, nonobstant tous ces feux et bruslemens, se rendit protecteur de Genève, lorsque Charles duc de Savoye la voulut assieger, voire l’eust prise ; ce qui luy porta grand dommage de toutes ses terres que les Bernois luy prirent ; en quoy l’on blasma fort sa dite majesté, et d’y avoir envoyé dedans pour secours, des bandes du seigneur Rance de Lore. Accordez-moy un peu ces feux avec cette protection [5].

  1. C’est de Davila que Mézerai parle. Voici les paroles de cet Italien, pag. m. 32 du Ier. livre. Comincio l’origine di questa dissensione insino al tempo del Rè Francesco il Primo, il quale benche facesse tal volta qualche severa risolutione, occupato nondimeno del continuo nel travaglio delle guerre straniere ò permesse, ò non si avidde, che andassero all’ hora serpendo i principii di questa più tosto dispregiata ed odiata che temuta ò avertita credenza.
  2. Mezerai, Histoire de France, tom. II, pag. 1038.
  3. Ovid., Metam., lib. I, vs. 758 ; mais au lieu de juvat, il dit pudet.
  4. O utinam arguerem sic, ut non vincere possem !
    Me miseram ! quare tam bona causa mea est ?
    Idem, Amorum lib. II, eleg. V, vs. 7.

  5. Brantôme, Vie de François Ier., du Ier. tome des Mémoires, pag. 231.