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FRANÇOIS Ier.

(P) François Ier. fut fort utile aux protestans. ] Nous venons de voir qu’il sauva la république de Genève, la métropole des réformés, leur mère qui envoyait ses apôtres et ses livres en France, et ses conseils de toutes parts pour le soutien de la cause, Cette démarche de François Ier. agrandit le canton de Berne, de quoi la réformation se ressent encore. Il rendit de bons services à la ligue de Smalcalde directement, et plus encore indirectement ; car il fut cause que Charles-Quint ménagea en cent rencontres les protestans d’Allemagne, afin de les détacher des intérêts de la France. Comme il est plus conforme aux principes de la religion et de la piété, de reconnaître le doigt de Dieu, je veux dire une influence particulière de la providence, dans l’établissement de la réforme, j’approuve ceux qui en jugent ainsi ; mais je ne saurais m’empêcher de dire qu’il y a des gens de bon sens, qui croient que la seule concurrence de Charles-Quint et du roi de France était plus que suffisante, pour fournir aux protestans les moyens de se maintenir ; et que si Luther a eu de plus grands succès que tant d’autres réformateurs dont il avait été précédé, c’est parce qu’il s’est mis au monde sous les auspices favorables de l’émulation de François Ier. et de Charles-Quint, deux princes qui pour se contrecarrer favorisaient tour à tour sa nouvelle secte. Or, dès qu’elle fut bien ancrée en Allemagne, elle envoya assez de secours aux calvinistes de France pour disputer le terrain, etc. La question que fait Brantôme sur le peu d’accord qui se trouve entre brûler une centaine d’hérétiques, et protéger leur nid, leur centre, leur métropole, embarrasse tous ceux qui ne savent pas que c’est une des plus fréquentes scènes de la grande comédie du monde. C’est ainsi que de tous temps les souverains se sont joués de la religion : ils jouent à ce jeu-là encore aujourd’hui, ils persécutent chez eux ce qu’ils font triompher dans d’autres pays autant qu’il leur est possible. N’allez pas dire sous ce prétexte qu’ils n’ont point de religion. Cela n’est pas vrai : ils en ont souvent jusqu’à la bigoterie : qu’est-donc ? ils ont encore plus à cœur le bien temporel de leur état, que le règne de Jésus-Christ [1]. Je n’en excepte point le pape, et je pense qu’il ne fut guère plus content que François Ier. des progrès de l’empereur contre la ligue des protestans. Citons Mézerai. « Le bruit des armes de l’empereur donnait l’épouvante à toute la chrétienté ; le pape même tremblait de peur qu’ayant subjugué l’Allemagne il ne passât en Italie. Quand François eut donc bien considéré les conséquences de la ruine des protestans, il changea d’avis et fit ligue avec eux, s’obligea de recevoir le fils aîné du duc de Saxe en France, et de lui permettre en particulier l’exercice de sa religion, promit d’envoyer 100,000 écus à son père et autant au landgrave de Hesse, eu attendant qu’il pût les assister de troupes [2]. » N’était-ce pas avoir un beau zèle pour sa religion ? Il faisait brûler de petits particuliers, parce qu’ils n’allaient pas à la messe, et il donnait de puissans secours à des princes qui avaient aboli la messe dans leurs états. C’était attaquer le parti par les girouettes, c’était lui enlever quelques tuiles et quelques pierres, ou lui piller quelques bicoques, pendant qu’on lui bâtissait des forteresses, et des places d’armes [3]. Joignez à ceci la remarque (AA) de l’article Henri II, et la remarque de l’article Surgier.

(Q) M. Varillas fait là-dessus un anachronisme. ] Car il suppose [4] que lors que François Ier. fit mourir six luthériens, le 19 de janvier 1535, la monarchie française était plus dangereusement ébranlée par l’Institution de Calvin, qu’elle ne l’avait jamais été par les Anglais, et par la maison d’Autriche. Nous avons montré ci-dessus [5] que Calvin se détermina

  1. Voyez tome I, pag. 258, la remarque (H) de l’article Agésilaus II.
  2. Mézerai, Abrégé chronolog., tom. IV, pag. 637, à l’ann. 1547.
  3. François Ier. conserva Genève, où le duc de Savoie aurait ruiné la réformation, si ce monarque ne l’en avait empêché. On peut appliquer à ceux qui tiennent une telle politique ces paroles : Urbem ( philosophiæ) mihi crede proditis, dum castella defenditis. Cicero, de Divinat., lib. II, cap. XVI.
  4. Histoire de François Ier., liv. VII, pag. 248.
  5. Au commencement de la remarque (F) de l’article Calvin, tome IV, pag. 333.