Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T10.djvu/112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
MAHOMET II.

à Mahomet, et qu’aussitôt il avait été soulagé. Là-dessus on prit ses chausses : on les appendit à la mosquée ; on cria miracle ! miracle ! Voici les termes de ce moine : Cùm ibi esset in medio maximæ multitudinis, et non posset exire, necessitasque ei venisset superfluum pondus corporis deponendi, stercorizavit in femoralibus. Cùm autem fœtor esset in illâ moschæâ, omnes circumspiciebant qui hujus fœtoris causa fuisset. Inveneruntque ipsum Januensem, quem volentes occidere, ille, qui fortè linguam eorum sciebat, cis dixit, vel per interpretem mendacium hoc significavit, scilicet, quòd cùm ipse non posset per longum tempus habere beneficium ventris, intravit templum, ut Mahometo se commendaret, et statim habuit beneficium ventris. Hoc autem audientes et credentes illi homines bestiales, acceperunt femoralia illa stercore infecta, et suspenderunt in moschæâ, clamantes, miraculum ! miraculum[1] ! Voilà comment la moitié du monde se moque de l’autre ; car sans doute les mahométans n’ignorent pas tout ce qui se dit de ridicule touchant les moines ; et s’il était vrai qu’ils n’en sussent rien, on ne laisserait pas de pouvoir croire raisonnablement, qu’ils font courir des mensonges et des fables impertinentes contre les sectes chrétiennes. S’ils savaient le conte du bénédictin flamand, ils diraient peut-être : ces bons forgerons de miracles nous en fabriquent de bien grossiers ; ce n’est pas qu’ils n’en sachent inventer de bien subtils, mais ils les gardent pour eux ; ils boivent le vin, et nous envoient la lie.

  1. Pragnosticon Anti-Christi, pag. 38, apud Revium, in Historiâ Daventriensi, pag. 228, 229.

MAHOMET II, onzième sultan des Turcs, né à Andrinople, le 24 de mars 1430, a été l’un des plus grands hommes dont l’histoire fasse mention, si l’on se contente des qualités nécessaires aux conquérans ; car pour celles des hommes de bien, il ne les faut point chercher dans sa vie. Il n’est pas vrai que sa mère fût chrétienne[a]. Il a fort bien mérité le titre de Grand, qu’il souhaita avec beaucoup d’ambition, et que les Turcs ne manquent pas de lui donner (A) ; car « il a signalé son règne par la conquête de deux empires, de douze royaumes, et de deux cents villes considérables. Mais ses progrès n’ont pas été l’effet d’une révolution rapide, ou d’une fortune aveugle qui l’ait conduit de victoire en victoire, sans que la prudence y ait contribué. Le sang qu’il a perdu dans de grandes occasions, prouve que ses avantages lui ont été disputés. Il a levé des siéges, fait des retraites précipitées, et perdu des batailles ; mais les disgrâces, qui rebutent les esprits communs, encourageaient le sien, ou plutôt l’instruisaient pour l’avenir ; et le jugement lui faisait réparer par la patience, ce qu’il avait perdu par l’impétuosité. Infatigable au delà de l’imagination, on l’a vu plus d’une fois commencer glorieusement une campagne en Europe, et l’aller achever encore plus glorieusement en Asie[b]. » Sa bonne fortune l’a fait naître dans un siècle où la valeur de ses ennemis était infiniment propre à relever la gloire de ses triomphes (B). Il n’est pas nécessaire de chercher parmi les Turcs de quoi se former une juste idée de son mérite ; les chrétiens lui ont

  1. Voyez la remarque (F).
  2. Guillet, Histoire de Mahomet II, pag. 1 : il cite Phranza, lib. i, cap. 33 ; Barlet, de Expug. Scodr., lib. i ; Bapt. Egnat. de Orig. Turc. Phil. Lonicer., lib I.