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MAHOMET II.

qu’ici, il a été le seul de tant de sultans qui ait osé faire passer des troupes réglées en Italie, où en divers temps elles ont gagné une bataille rangée, et pris une bonne place : non pas par une insulte inopinée, à la manière des corsaires ; mais par les droites attaques d’un siége dans les formes [1]. »

(C) Les chrétiens lui ont dressé des monumens. ] En voici la preuve : le même historien me l’a fournie. « Je ne crois pas être blâmable de renouveler la mémoire de ce conquérant, puisque d’ailleurs il est impossible qu’elle périsse, et [* 1] qu’il n’y a jamais eu de prince infidèle qui ait laissé parmi nous de semblables monumens. L’église [* 2] catholique prend le soin de nous faire souvenir de lui chaque jour de l’année, par un signal remarquable et perpétuel ; car les coups ds cloche qu’on sonne chaque jour pour la prière du midi, n’ont été ordonnés par un de nos papes, que pour avertir le peuple de recommander à Dieu les fidèles qui combattaient contre ce sultan [* 3]. Pour une bataille qu’il a perdue, nous rendons encore chaque année des actions de grâces au ciel, en solennisant la fête de la Transfiguration du Sauveur, qui fut instituée pour cette victoire. Mais ce qui ne mérite pas moins de réflexion, lui seul a donné lieu à la convocation d’un concile général, et au projet de plusieurs autres. Ses [* 4] armes seules ont réduit les chrétiens à lui opposer celles d’une croisade qui s’est distinguée évidemment de toutes les guerres saintes, puisqu’un pape y marcha en personne, suivi du collége des cardinaux. Enfin, lui seul a obligé un des empereurs d’occident à instituer l’ordre des [* 5] Chevaliers d’Autriche, qui sous ce grand nom, tiré de la maison de son fondateur, et sous les auspices de Saint-Georges, s’engagèrent par des vœux formels à traverser des progrès si étonnans [* 6]. Un archevêque, un cardinal, un pape même, ont publié pendant sa vie ses victoires par leurs écrits, pour lui susciter des ennemis en faveur de nos autels [2]. » L’aveu qu’ont fait nos historiens n’est pas un moindre témoignage de sa gloire, que les préparatifs qu’avait faits le pape pour se retirer à Avignon, en cas que l’Italie fût attaquée par Mahomet en personne. Achmet, qui commandait dans Otrante, en partit pour aller trouver son maître, « et conférer avec lui sur les progrès de ses armes en Italie, où même il se promettait de l’amener. Les menaces qu’il en fit en s’embarquant jetèrent les Italiens dans la dernière consternation, et leur firent craindre une campagne d’autant plus funeste, que la garnison ottomane continuait chaque jour ses courses avec de nouveaux avantages ; de sorte qu’Otrante regorgeait d’esclaves chrétiens et de butin. L’Italie a souffert de plus grands maux, mais elle n’a jamais eu de frayeur pareille, et il semblait que les peuples y étaient déjà condamnés à porter le turban. Il est certain que le souverain [* 7] pontife, Sixte IV, croyant déjà voir Rome enveloppée dans l’affreuse destinée de Constantinople, fit dessein de la confier à la protection des apôtres, et ne songea plus qu’à faire équiper des galères pour passer en Provence, et transférer une seconde fois le saint siége à Avignon. Les historiens de ce temps-là ont écrit qu’il n’y avait plus de salut pour l’Italie, parce qu’en effet on n’y voyait pas une place de guerre à l’épreuve de cent mille mahométans, qu’on supposait y devoir être encouragés par la présence du sultan. Parmi tous les témoignages de cette consternation, je ne rapporterai que celui de Sabellicus, qui était du pays, et qui vivait de ce

  1. (*) Platina, Vit. Calist. Girolamo.
  2. (*) Briani, lib. 17.
  3. (*) Pandect. Leunclav., cap. 133 ; Turco-Græc., pag. 62 ; Petav. Ration. temp. pars 1, lib. 9 ; Briani, lib. 17.
  4. (*) P. Justinian., lib. 8. Platina Vit. di Pio II.
  5. (*) Lazius, lib. 3 Rerum Viennentium.
  6. (*) Leon Chiens. Arch. Mityl. Esid. Ruthen. Card. SS Pet. et Mart., Pius II.
  7. (*) Cuspinian., in Vit. Mahom.
  1. Là même, pag. 6 et 7.
  2. Guillet, Histoire de Mahomet II, liv. I, pag. 4 et 5.