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MAHOMET II.

tion. Jérôme Reusnérus a recueilli plusieurs volumes de ces harangues. Ce n’étaient pas seulement les princes qui avaient besoin qu’on les exhortât à la concorde ; il y avait une autre espèce de désunion qui n’était pas un petit mal dans la chrétienté. Les gens d’église se reposaient sur les laïques, et ceux-ci attendaient qu’il plût aux ecclésiastiques de fournir aux frais de la guerre. Platine nous représente naïvement les mauvais effets de cette attente réciproque. Mahometus Arabs, dit-il [1]... magnum in christiano populo excitavit incendium : et ita magnum, ut verear ne ejus secta, nostrâ potissimùm ætate reliquias christiani nominis penitùs extinguat : adeò tepescimus : et animo ac corpore languidi interitum nostrum exspectantes concidimus. Invalescit ejus secta nunc multo magis quam anteà. Nam tota Asia et Africa, magnaque pars Europæ mahometanis principibus subjecta est. Instant nunc Turci terrâ ac mari : ut nos, tanquam cuniculos, ex his Europæ latebris eruant. Sedemus otiosi : alter alterum expectantes, quasi hoc malum universæ reipublicæ christianæ non immineat. Expectant sacerdotes ut à sæcularibus hoc tantum bellum et tam necessarium sumatur. Expectant item sæculares ut presbyteri tuendæ religionis causâ pecunias in sumptus bellicos polliceantur et subministrent, ne in pejores usus effundant, quemadmodum facere plerique consuevêre, pecunias eleemosynis et sanguine martyrunt comparatas, in aurea et argentea vasa et pergrandia quidem fundentes : parùm de futuro soliciti ; Dei quem tantùm utilitatis gratiâ colunt, et hominum contemptores.

C’est donc avec beaucoup de justice qu’on se moque de Bellarmin, qui a osé mettre la prospérité entre les marques de la vraie église. Quas ultimo ponit loco notas Bellarminus IX et X infelicem exitum ecclesiam oppugnantium, felicitatem verò ecclesiam defendentium, nomen notarum adeò non merentur, ut mirum si non cogitâsse cardinalem furiosis hâc ratione muhammedanis contrà nos suppeditari arma [2]. C’est aux mahométans qu’il convient de dogmatiser de la sorte, comme le fait voir Hottinger, qui montre d’ailleurs que le nom de catholique, l’antiquité, une longue durée non interrompue, l’étendue, la succession, des évêques, les miracles, l’austérité des mœurs, le témoignage des adversaires, et telles autres marques, à quoi Bellarmin prétend que l’on reconnaisse la vraie église, sont les mêmes que les sectateurs de Mahomet allèguent à l’avantage de leur religion.

(F) Il y a des gens qui ont écrit que ce sultan était athée. ] Voici ce que Paul Jove remarque sur ce sujet [3] : Natus ex despoti Serviæ filiâ, quæ puerum christianis præceptis et moribus imbuerat, quorum mox oblitus adolescendo, ita ad Mahometus sacra se contulit, ut neque hos, neque illos ritus teneret, et in arcano prorsùs Atheos haberetur : utpote qui unum tantum bonæ fortunæ numen coleret, quod præclarè conciliari vividâ efficacique animi virtute prædicabat. Itaque nulli addictus religioni, cunctorum hominum accuratas de Diis, tanquàm humana nihil curantibus, cogitationes irridebat ; eo animi decreto, ut nullum unquàm jus amicitiæ aut fœderis, nisi ex commodo, exceptâque ad proferendum imperium occasione, colendum atque servandum arbitraretur. Il y a deux observations à faire sur ce passage : 1°. Paul Jove se trompe, quand il assure que la mère de Mahomet était chrétienne [4]. « On ne sait ni le nom ni la qualité de sa mère, quoique tous les historiens d’Occident, prévenus d’une erreur générale, nous l’aient voulu faire connaître sous des noms diversement forgés, tantôt de Mélisse et d’Irène, tantôt de Marie, fille du despote de Servie, et qualifiée de Despœne, titre d’honneur que les Grecs donnaient aux princesses chrétiennes de l’Orient. Mais quoique cette Despœne eût épousé le sultan Amurat, elle n’était que belle-mère de Mahomet, et n’eut jamais d’enfans, comme il est clairement justifié par

  1. Platina, in Bonifacio V.
  2. Hottinger, Hist. orient., pag. 338.
  3. Jovius, in Elogiis Virorum bellicâ virtute illustrium, lib III, pag. m. 262.
  4. Guillet, Histoire de Mahomet II, liv. I, pag. 10.