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MAHOMET II.

en excepte quelques-unes qui sont véritablement autorisées par la pudeur et par la piété, le reste est une louange déguisée, et la vaine menace de ceux qu’il faisait trembler. » Cet auteur fait là un portrait qui ressemble à beaucoup de gens répandus dans tous les siècles, et dans toutes les nations.

(L) Je pense qu’il fut... le premier sultan qui aima les arts et les sciences. ] Il lisait souvent l’histoire d’Auguste, et celle des autres césars, et avec encore plus de plaisir celles d’Alexandre, de Constantin, et de Théodose, parce que tous trois ont régné dans les pays de sa domination [1]...... De l’amour qu’il avait pour l’histoire, il passa avec le temps à l’estime des historiens, et leur en donna des marques..... Il aima avec passion la peinture et la musique, et il s'appliqua à la ciselure et à l’agriculture [2].... La connaissance des langues étrangères lui fut si chère, contre le génie de sa nation, qu’il ne parlait pas seulement celle des Arabes, qui est affectée aux lois ottomanes et à la religion du législateur Mahomet, mais encore la persane, la grecque et la française, c’est-à-dire, l’italienne corrompue ; se facilitant ainsi une communication avec les peuples qu’il menaçait de ses armes. Surtout il excellait dans l’astrologie ; et, pour encourager ses troupes, et effrayer ses ennemis, publiait que le mouvement et les influences des corps célestes lui promettaient l’empire du monde [3]. Pour savoir combien il se connaissait en tableaux, on n’a qu’à lire, dans M. Guillet, ce que le Vasari raconte touchant Gentilé Bélino, fameux peintre vénitien, qui fut quelque temps à la cour de Mahomet, et qui en revint chargé de présens [4]. Il apporta le portrait de cet empereur ; et ainsi il n’a pas été malaisé aux historiens de nous apprendre comment ce prince était fait : néanmoins on le représente bien différemment. Le père Maimbourg maltraita un peu sur ce sujet le père Bouhours. Voyez la Critique générale de l’Histoire du Calvinisme [5]. Finissons cette remarque par ces paroles de Paul Jove [6]. Cæterùm Mahomet qui impietatis apud suos, apud nostros verò perfidiæ, et inhumanæ crudelitatis notam subiit, hanc saltem confessione omnium certam laudem à barbaris repudiatam, non insulsè tulisse existimatur, quòd ei litterarum, et præcellentium artium decus cordi fuerit ; quandò cunctas clarissimarum gentium historias, sibi verti in turcicam linguam juberet ; ut indè haustis militiæ præceptis, actionum suarum disciplinam, exemplorum varietate confirmaret, et præclaros artifices pictoresque præsertim insigni liberalitate complecteretur. Nam et commentaria rerum ab ipso gestarum à liberio ejus Vincentino [7] conscripta legimus ; verâque ejus imagine sumus politi, quam Gentilis Bellinus, è Venetus Byzantium evocatus pinxerat, quùm ibi regiam multis tabulis rerum novarum ad oblectationem jucundissimam refersisset.

(M) Son épitaphe mérite d’être considérée. ] « On porta son corps dans la mosquée de sa fondation, où l’on voit encore aujourd’hui son turban et son sabre. Mais ce qu’il y a de singulier, l’épitaphe qu’on lui fit ne parlait point de ses grandes actions, et semblait même les compter pour rien, en comparaison de ses dernières pensées, que l’on se contenta d’y exprimer comme le plus grand éloge, et le plus fidèle tableau de son courage. L’inscription ne consistait qu’en neuf ou dix paroles turques, expliquées par celles-ci : Je me proposais la conquête de Rhodes et celle de la superbe Italie [8]. » C’est nous faire entendre très-clairement, 1°. qu’on

  1. Guillet, Histoire de Mahomet II, liv. I, pag. 15.
  2. Là même, pag. 16.
  3. Là même, pag. 17. Voyez, sur tout ceci, le père Maimbourg, Histoire du Schisme des Grecs, liv. VI, pag. 289, qui cite Phranz., l. 3, c. 33. Leuncl., l. 15.
  4. Là même, liv. IV, pag. 505 et suiv. Voyez aussi Florent le Comte, au Ier. tome du Cabinet des Singularités, pag. 29 et 30, édition de Paris, 1699, et le Journal de Trévoux, mai 1702, pag. 122, édition de France.
  5. Lettre XXX, p. 333, 334 de la troisième édition.
  6. Paulus Jovius, in Elogiis Virorum bellicâ virtute illustrium, lib. III, pag. 265.
  7. C’est sans doute Angiolello, dont j’ai donné l’article, tom. II, pag. 109.
  8. Guillet, Hist. de Mahomet II, liv. VII, pag. 381.