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MAJORAGIUS.

de haranguer éloquemment ; et après avoir donné sur cela des instructions fort utiles à quantité d’écoliers, et les avoir dressés à cet exercice dans une chambre, il résolut de s’employer à cette fonction publiquement. Les curateurs du collége lui furent si favorables, qu’ils lui conférèrent cet emploi dès qu’ils eurent connu ses intentions. Il n’avait alors que vingt-six ans. Il s’acquitta parfaitement bien de cette charge. Mais au bout de deux années on congédia tous les professeurs, à cause qu’on se voyait menacé d’une périlleuse guerre dans le Milanais. Il se retira à Ferrare, où il étudia en jurisprudence sous André Alciat, et en philosophie sous Vincent Magius. Il publia quelques pièces, où il se donna le nom de Marcus Antonius Majoragius (C). Les alarmes de la guerre étant apaisées, il retourna à Milan, et il y fut rétabli dans sa profession avec des gages plus considérables. Ses ennemis, qui avaient tâché inutilement d’empêcher cela, se déchaînèrent contre lui, et lui intentèrent un procès sur le nom qu’il avait pris à la tête d’un ouvrage (D). Il plaida sa cause publiquement, et la gagna [* 1]. Il continua d’enseigner avec une forte application, qui sans doute lui abrégea la vie ; car il ne vécut qu’environ quarante ans et six mois. Il mourut le 4 d’avril 1555. M. Moréri a donné le titre de quelques-uns de ses livres (E), et a fait quelques petites fautes (F). M. de Thou en a fait aussi quelqu’une (G).

Majoragius doit être mis dans le catalogue des personnes accusées de plagiat (H).

  1. (*) Tiré de la Xe. Harangue de Majoragius. C’est celle où il se justifie du changement de son nom.

(A) Il étudia... sous un professeur qui était son proche parent. ] Il avait bien du mérite, et s’appelait Premier le Comte, Primus Comes [1]. Ce nom fut le fondement d’une équivoque qui surprit Érasme ; car cet Italien, ayant mis son nom en latin au bas d’un billet, où il lui faisait savoir qu’il voulait lui rendre visite, fut cause qu’Érasme, tout infirme qu’il était, s’empressa de lui aller au-devant, bien persuadé que c’était quelque grand prince. Il fut bien étonné de ne trouver qu’un petit homme tout seul : mais il ne se repentit pas de s’être pressé ; la conversation de ce personnage lui plut beaucoup. Majoragius raconte cela beaucoup mieux que je ne fais ; il mérite qu’on l’entende. Cùm in Germaniam eâ de causâ profectus fuisset, ut Erasmi consuetudine per aliquod tempus frueretur, priusquàm ipsum Erasmum conveniret, ad eum litteras dedit, quibus adventûs sui causam declarabat, quarum in extremâ parte nomen suum, ut fit, ita subscripserat : Tui studiosissimus Primus Comes Mediolanensis. Hanc cùm Erasmus subscriptionem vidisset, credidit statim magnum aliquem adesse principem, sui visendi gratiâ. Quare licet admodùm senex et infirmus esset : tamen quo studio, quoque apparatu potuit, obviam consobrino meo longè processit. Sed postquam homunculum unum, nullo comitatu, nullo servorum grege stipatum : et benè quidem litteratum, sed nullo elegantiori cultu vestitum reperit, errorem suum ridere jucundissimè cœpit ; et tamen eum sibi multò gratiorem advenisse, quàm si magnus princeps fuisset, multis audientibus testatus est [2]. Il nous apprend au même lieu qu’une des raisons, pourquoi il quitta le nom de comte [3], fut qu’on s’y

  1. Voyez Natalis Comes, Mythol., lib. IX, cap. V, pag. m. 960.
  2. Majoragius, orat. X, pag. m. 221, 222.
  3. Nous verrons ci-dessous, dans la remarque (D), que Majoragius s’appelait Antonius Maria Comes.