portent de lui est véritable, c’était moins un homme qu’une intelligence incarnée. On dirait que la providence l’avait choisi pour montrer à la terre jusqu’où se peuvent étendre les forces d’un instrument humain, lorsque le temps des révolutions les plus surprenantes est arrivé. Les poëtes et les orateurs n’ont pas été les meilleurs panégyristes d’Alexandre ; les rois qui se mêlent le plus de guerres et de conquêtes, font son éloge beaucoup mieux que ne sauraient faire les écrivains (A). Qu’on ne dise pas que les occasions lui ont été favorables (B) ; et que tel prince, qui dans une longue guerre ne gagne que peu de pays, aurait subjugué un grand empire s’il avait eu à combattre contre les Perses. Ce sont des excuses, ce sont des consolations peu solides. La rapidité avec laquelle Alexandre se servait de l’occasion, et profitait de ses avantages, lui eût fait trouver une moisson de triomphes, où bien d’autres rois ne peuvent rien conquérir. C’est à lui que l’on pouvait dire après ses premières victoires,
Je l’attends dans deux ans sur les bords de l’Euphrate.
Je ne prétends pas donner ici
un abrégé de sa vie ; car outre
que les autres dictionnaires sont
assez prolixes sur ce sujet, il
n’y a rien de plus connu à toutes
sortes de lecteurs que l’histoire
d’Alexandre le Grand. Il
semble même que ce serait un
travail superflu, que de donner
son caractère (C). On le connaît
assez ; personne n’ignore que les
grandes vertus et les grands vices
y entrent également. Il n’y
avait rien de médiocre en sa
personne que la taille ; tout le
reste bon ou mauvais était excessif.
Son ambition allait jusqu’à
la fureur (D). Il prenait
pour un crime que l’on doutât
du succès de ses desseins (E).
D’un côté il était assez impie
pour vouloir qu’on le regardât
comme un dieu (F) ; et de l’autre
il était superstitieux jusqu’à
la faiblesse féminine (G). Quelque
louange qu’il ait méritée en
certaines occasions par rapport
à la continence (H), il s’en faut
bien que sa vie n’ait été dans
l’ordre sur ce chapitre (I). Son
déréglement à l’égard du vin fut
prodigieux (K). La cruauté qu’il
fit paraître contre les habitans
de Tyr n’est point excusable (L).
Tant de vices n’ont point empêché
qu’après sa mort on ne l’honorât
comme un dieu, et que
même sous les empereurs romains,
il n’y ait eu des familles
qui le choisissaient pour leur divinité
tutélaire (M). La flatterie
n’avait point de part à cela, comme
lorsque pendant sa vie on lui
rendait des honneurs divins :
c’était un vrai culte de superstition.
Il mourut à Babylone, âgé
d’environ trente-trois ans. Les
uns disent qu’on l’empoisonna ;
les autres en plus grand nombre
le nient [a]. Ses conquêtes furent
brisées en plusieurs pièces après
sa mort ; mais les morceaux en
furent bons, et rendirent célèbre
et puissante pendant long-temps
la nation grecque dans l’Asie.
Il n’avait mis guère de temps
à les faire ; car il passa l’Helles-