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MAJUS.

quid opus est curcuitione, et amfractu, ut sit utendum interpretibus somniorum potiùs, quàm directo [1] ?.… Venit in contentionem, sit probabilius, deosne immortales, rerum omnium præstantia excellentes, concursare omniun mortalium, qui ubique sunt, non modò lectos, verùm etiam grabatos, et cùm stertentes aliquos viderint, objicere his quædam tortuosa, et obscura, quæ illi exterriti somnio ad conjectorem manè deferant ; an naturâ fieri, ut mobiliter animus agitatus, quod vigilans viderit, dormiens videre videatur [2]. Mais on peut répondre que toute créature est bornée et imparfaite : il peut donc y avoir des variations, et même des bizarreries, selon notre façon de juger, dans les effets qui sont dirigés par les désirs d’un esprit créé. Ceci peut servir contre quelques objections que les esprits forts allèguent à ceux qui leur parlent de l’existence de la magie. Enfin, je dis que la connaissance de avenir n’est pas aussi grande que l’on s’imagine, en s’opposant qu’il y ait des songes de divination : car si nous examinons bien les relations et la tradition populaire, nous trouverons que, pour la plupart, ces songes n’apprennent que ce qui se passe dans d’autres pays, ou ce qui doit arriver bientôt. Un homme songe la mort d’un ami ou d’un parent, et il se trouve, dit-on, que cet ami ou ce parent expirait à cinquante lieues de là au temps du songe. Ce n’est point connaître l’avenir, que de révéler une telle chose. D’autres songent je ne sais quoi qui les menace de quelque malheur, de la mort si vous voulez. Le génie auteur du songe peut connaître les complots, les machinations qu’on trame contre eux ; il peut voir dans l’état du sang une prochaine disposition à l’apoplexie, à la pleurésie, ou à quelque autre maladie mortelle. Ce n’est point connaître l’avenir qu’on appelle contingent. Mais, dit-on, il y a des particuliers qui ont songé qu’ils régneraient, et ils n’ont régné qu’au bout de vingt ou trente ans. Répondez que leur génie d’un ordre bien relevé, actif, habile, s’était mis en tête de les élever sur le trône : il s’assurait d’en ménager les occasions et d’y réussir [3] ; et sur ces conjectures presque certaines il communiquait des songes. Les hommes en feraient bien autant à proportion de leurs forces.

Je ne donne point ceci pour des preuves, ou pour de fortes raisons, mais seulement pour des réponses aux difficultés que l’on propose contre l’opinion commune : et il faut même que l’on sache que je me renferme dans les bornes des lumières naturelles ; car je suppose que les disputans ne se voudraient point servir des autorités de l’Écriture. Je souhaite aussi qu’on remarque que ceux qui soutiennent qu’il y a des songes de divination, n’ont besoin que d’énerver les objections de leurs adversaires ; car ils ont pour eux une infinité de faits, tout de même que ceux qui soutiennent l’existence de la magie. Or quand on en est là, il suffit qu’on puisse répondre aux objections ; c’est à celui qui nie ces faits à prouver qu’ils sont impossibles : sans cela il ne gagne point sa cause. Je dois aussi avertir que je ne prétends nullement excuser les anciens païens, soi à l’égard du soin qu’ils ont eu de rapporter tant de songes dans leurs histoires, soit à l’égard des démarches qu’ils ont faites en conséquence de certains songes. Quelquefois ils n’ont point eu d’autre fondement pour établir certaines cérémonies, ou pour condamner des accusés [4]. Quùm ex æde Herculis patera aurea gravis surrepta esset, in somniis vidit (Sophocles) ipsum deum dicentem, qui id fecisset. Quod semel ille, iterùmque neglexit, ubi idem sæpiùs, ascendit in Ariopagum : detulit rem. Ariopagitæ comprehendi jubent eum, qui à Sophocle erat nominatus. Is, quæstione adhibitâ, confessus est, pateramque retulit. Quo facto, fanum illud Indicis Herculis nominatum est [5]. On se peut moquer fort justement de la faiblesse d’Auguste [6], et plus encore de la loi qui ordonnait en cer-

  1. Cicero, de Divinat., lib. II, cap. LXI.
  2. Idem, cap. LXIII.
  3. Voyez la remarque (D) de l’article Caïnites, tom. IV, pag. 307.
  4. Voyez Cicéron, de Divinat., lib. I, folio m. 311, A.
  5. Idem, ibidem, cap. XXV.
  6. Somnia neque sua, neque aliena de se negligebat. Sueton., in Augusto, cap. XCI.