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MAJUS.

tains pays à tous les particuliers qui auraient songé quelque chose concernant la république, de le faire savoir au public, ou par une affiche, ou par un crieur [1] ; et si l’on en excepte quelques songes particuliers, je consens que l’on dise de tous les autres ce que nous lisons dans Pétrone [2] : Hinc scies Epicurum hominem esse divinum, qui ejusmodi ludibria facetissimâ ratione condemnat.

Somnia quæ mentes ludunt volitantibus umbris,
Non delubra Deûm, nec ab æthere numina mittunt ;
Sed sibi quisque facit. Nam cùm prostrata sopore
Urget membra quies, et mens sinè pondere ludit :
Quidquid luce facit, tenebris agit. Oppida bello
Qui quatit, et flammis miserandas sævit in urbes, etc.


Et je persévère dans le sentiment que j’ai déclaré ailleurs [3], qu’il n’y a point d’occupation plus frivole et plus ridicule que celle des onirocritiques. Notre Junianus Majus méritait une censure plus rude que celle que Martin del Rio lui a faite. Si nous voulions comparer avec ce qui nous arrive une infinité d’images qui s’élèvent dans notre esprit, quand nous nous abandonnons en veillant à tous les objets qui voudront s’offrir à nous, je suis sûr que nous y verrions autant de rapports à nos aventures, que dans plusieurs songes que nous regardons comme des présages : et je ne fais aucun cas de la raison qui paraît si forte à bien des gens : c’est, disent-ils, que non-seulement nous voyons en songe les objets ; mais nous leur entendons dire des choses qu’ils ne nous ont jamais dites en veillant, et dont par conséquent nous n’avions aucune trace dans notre cerveau. Nous croyons voir quelquefois en songe un livre nouveau dont jamais nous n’avions ouï parler, et nous y lisons le titre, la préface, et cent autres choses. Cette raison est nulle. Ne faisons-nous pas tout cela en veillant ? Ne nous représentons-nous pas un tel et un tel qui nous tiennent cent discours dont nous sommes les architectes ? Ne nous figurons-nous pas, s’il nous plaît, qu’un tel vient de publier un livre qui traite de telles et de telles choses ? Ainsi cette prétendue grande raison n’est d’aucun poids : mais je crois en même temps que l’on ne saurait douter de certains songes dont les auteurs font mention, ni les expliquer par des causes naturelles, je veux dire sans y reconnaître de l’inspiration, ou de la révélation. Voyez Valère Maxime [4], et les lettres de Grotius [5]. Quant aux objections de Cicéron, très-fortes à la vérité, et presque insolubles, elles ne sont fortes qu’en supposant que Dieu lui même est l’auteur immédiat de nos songes [6]. Primum igitur, dit-il [7], intelligendum est, nullam vim esse divinam effectricem somniorum. Atque illud quidem perspicuum est, nulla visa somniorum proficisci à numine deorum. Nostrâ enim causâ dii id facerent, ut providere futura possemus. Quotus igitur est quisque, qui somniis pareat ? qui intelligat ? qui meminerit ? quàm multi verò, qui contemnant, eamque superstitionem imbecilli animi, atque anilis putent ? Quid est igitur, cur his hominibus consulens Deus, somniis moneat eos, qui illa non modo curâ, sed ne memoriâ quidem digna ducant ? nec enim ignorare Deus potest, quâ mente quisque sit : nec frustrà, ac sinè causâ quid facere, dignum Deo est : quod abhorret etiam ab hominis constantiâ. Ita si pleraque somnia ant ignorantur, aut negliguntur ; aut nescit hoc Deus, aut frustra somniorum significatione utitur. Sed horum neutrum in Deum cadit. Nihil igitur à Deo somniis significari fatendum est. Voilà sa première raison : nous avons vu la seconde ci-dessus [8]. Voici la troisième [9] : Jam verò quis dicere audeat, vera

  1. Voyez Casaubon, sur Suétone, in Augusto, cap. XCI, qui cite Artemidore, lib. I, cap. 2.
  2. Petronius, p. 178, edit. Roterd., 1693.
  3. Dans l’article d’Artémidore, tom. II, pag. 467, remarques (B) et (C).
  4. Valer. Maximus, lib. I, cap. VII.
  5. Grotius, epist. CCCCV, part. II.
  6. C’était la supposition des stoïciens, d’où vient que Cotta, dans Cicéron, de Nat. Deorum, lib. III, sub fin., leur parle ainsi : Quomodò iidem dicitis non omnia Deos persequi, idem vultis à Diis immortalibus hominibus dispartiri ac dividi sommia ?
  7. Cicero, de Divinat., lib. II, cap. LX.
  8. Citation (12).
  9. Cicero, de Divinat., lib. II, cap. LXI, LXII.