Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T10.djvu/179

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
169
MALDONAT.

dispute, il faut réduire en question cette grande et importante vérité, dès qu’une fois on prend le parti de prouver par des raisons philosophiques qu’il y a un Dieu ; car le but naturel et légitime de cette entreprise est de convaincre de fausseté ceux qui nient cette thèse. Or, selon les règles de la dispute, l’on peut et l’on doit exiger d’eux qu’ils se défassent de leurs préjugés, et qu’ils n’emploient pas leurs principes particuliers contre les raisons qui leur seront opposées ; car s’ils le faisaient, ils tomberaient dans le sophisme que les écoles appellent petitio principii, défaut énorme, et qui doit être banni d’une controverse, comme un obstacle essentiel au dessein qu’on a d’éclaircir une vérité. Ils ont un semblable droit d’exiger la même chose, puisque dans toute dispute bien réglée les combattans se doivent servir d’armes égales. Ainsi pour un certain temps, c’est-à-dire, pendant que chaque parti alléguera ses raisons, ceux qui nient, et ceux qui affirment, doivent mettre à part leur thèse, en ôter l’affirmative et la négative. Ce sera donc une question ; ce sera une matière de recherche, où pour procéder de bonne foi il ne faudra point permettre que nos opinions préconçues donnent du poids aux argumens qui les favorisent, ni qu’elles énervent les raisons contraires. Il faudra examiner tout, comme si nous étions une table rase. Il n’est pas nécessaire de douter actuellement, et moins encore d’affirmer, que tout ce que nous avons cru est faux : il suffit de le tenir dans une espèce d’inaction, c’est-à-dire de ne point souffrir que notre persuasion nous dirige dans le jugement que nous porterons sur les preuves de l’existence de Dieu, et sur les difficultés et les argumens des athées[* 1]. C’est sans doute ce qu’a prétendu M. Descartes, lorsqu’il a voulu que son philosophe doutât de tout, avant que d’examiner les raisons de la certitude. Si l’on ne m’en veut pas croire, qu’on écoute pour le moins un ministre qui veut qu’en disputant avec les athées on renonce pour un temps aux principes dont ils ne conviennent pas. Ut clarè ostendamus, dit-il[1], quæ ista tantoperè declamata dubitatio est, cui tot retrò annis tantæ lites motæ atque etiamnum moventur, rem ipsam paulò altiùs et ab initio repetemus. Constat, ab omni tempore repertos esse, qui Dei naturam, existentiam, providentiam, et quidquid horum est, quibus omnis planè nititur religio, nescio quibus non subtilitatibus aut evertere, aut dubia saltem reddere non vererentur… Cui tamen malo quantùm potè obviam eundo, iisque quos infecisset, convincendis, haud pauci semper viri docti ac egregii ingenia calamosque suos acuerunt. Quibus certè, si quid proficere volunt, non ex principiis adversæ parti negatis, sed ab eddem concessis necessariò est disputandum : ut ut illæ alias in se ipsæ possint esse certissimæ. Quòd cùm rectè perpenderet Cartesius, eaque de existentiâ Dei argumenta proferre studeret, ad quæ pertinacissimus quisque scepticus obmutesceret, ecquid potuit aliter, quùm ut ea omnia de quibus isti dubitant, tantisper, seponeret ? Il nomme Diagoras, Épicure, et les sceptiques : il aurait pu citer des corps entiers de Chinois, comme a fait M. Arnauld : voici comment il parle en s’adressant aux jésuites : Les plus habiles missionnaires de la Chine, dont il y en a qui sont de votre société, soutiennent que la plupart de ces lettrés sont athées, et qu’ils ne sont idolâtres que par dissimulation et par hypocrisie, comme beaucoup de philosophes païens qui adoraient les mêmes idoles que le peuple, quoiqu’ils n’y eussent aucune créance ; ainsi qu’on peut voir par Cicéron et par Sénèque. Ces mêmes missionnaires nous apprennent que ces lettrés ne croient rien de spirituel, et que le roi d’en-haut, que votre P. Matthieu Ricci avait pris pour le vrai Dieu, n’est que le ciel matériel ; et que ce qu’ils appellent les esprits de la terre, des rivières et des montagnes, ne sont que les vertus actives de ces corps naturels. Quelques-uns de vos auteurs disent qu’ils ne sont tombés depuis quelques siècles dans cet athéisme, que pour avoir laissé

  1. * Joly trouve que Bayle justifie très-bien Maldonat ; mais il lui reproche de n’avoir pas également pris la défense du cardinal du Perron dans un autre article. Voyez, ci-après, remarque (C) de l’article Monin.
  1. Abraham. Heidanus, Considerat od res quasdam nuper gestas, pag. 135, 136.