Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T10.djvu/185

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
175
MALHERBE.

utereturne rebus venereis : Dii meliora, inquit. Libenter verò istinc, tamquàm à domino agresti, ac furioso profugi. Cupidis enim rerum talium, odiosum, et molestum est fortassè carere. Satiatis verò, et expletis, jucundius est carere, quàm frui. Quamquàm non caret is, qui non desiderat. Ergò hoc non desiderare, dico esse jucundius, quam frui [1]. On accuse Malherbe d’un autre défaut moral, ou même de deux, je veux dire de vanité et d’avarice. On le convainc du premier sans peine par plusieurs passages de ses poésies [2] : mais les preuves du second ne valent rien. Voici les paroles de M. Baillet [3]. Quelques-uns ont cru trouver dans les poésies de Malherbe des marques de quelque bassesse d’âme, et de quelques attaches trop intéressées, qui lui ont même ôté quelquefois les sentimens naturels de l’humanité. Mais je pense que ce reproche n’a point d’autre fondement que l’épitaphe d’un de ses parens nommé M. d’Is, dont il était héritier, dans lequel il a témoigné souhaiter de voir toute sa parenté au tombeau, pour avoir tout le bien de sa famille : voici des vers de Malherbe sur ce sujet.

Icy-git monsieur d’Is,
Plût or a Dieu qu’ils fussent dix !
Mes trois sœurs, mon père et ma mère,
Le grand Eléasar mon frère,
Mes trois tantes et monsieur d’Is :
Vous les nommé-je pas tous dix ?


Pour peu qu’on soit équitable, on voit là, non pas le naturel de Tibère [4], mais un jeu d’esprit, et une plaisanterie poétique, où le cœur n’a point de part. Malherbe fut inconsolable de la perte de son fils [5], et il aimait tant son épouse, que l’affliction de la voir malade réveilla sa religion endormie, et l’engagea à faire une chose dont il eut ensuite bien de la honte : il fit vœu d’aller tête nue à la Sainte-Baume ; mais il n’était pas bien aise que l’on sût qu’il eût été si dévot ; et bien loin de s’en vanter, il fallait lui arracher cela comme un grand secret [6].

(D) La meilleure édition de ses poésies. ] C’est celle que M. Ménage a procurée, et enrichie de plusieurs notes. Elle parut à Paris, l’an 1665 [* 1]. Il y avait fort long-temps que M. Ménage y travaillait ; car voici ce que on trouve dans une lettre de Balzac, datée du 23 de janvier 1651. La nouvelle du Commentaire sur les œuvres de Malherbe m’a surpris ; et comment est-ce que notre excellent ami abandonne son travail sur Diogène Laërce, et tant d’autres travaux de grande importance, qu’il a promis au public, pour s’amuser à expliquer un poëte si clair, et si facile que le nôtre ? Je l’ai connu, il est vrai, et très-particulièrement ; et j’en sais des particularités qui sont ignorées de tout autre que de moi. J’ai encore ici un homme qui le vit mourir, et que je lui avais envoyé, ne pouvant moi-même l’aller voir, à cause de mon indisposition. Mais ce que je sais, monsieur, de plus particulier que les autres, ne se peut écrire de bonne grâce, et il y a certaines vérités qui ne sont bonnes qu’à supprimer [7]. Comme j’avais promis dans la remarque précédente une partie de ce passage, il est plus long que mon texte ne le demandait. M. Ménage nous apprend lui-même [8] qu’il n’avait pas plus de 20 ans, lorsqu’il lui prit envie de commenter Malherbe, et que si ses amis ne l’en avaient détourné, il aurait commencé par-là à se faire connaître au public. Il ajoute qu’avant que ses notes fussent imprimées, M. Chevreau publia un Commentaire sur les mêmes poésies. Je ne doute point, continue-t-il,

  1. * Cette édition n’est pas la meilleure, dit Joly, puisqu’il en parut une seconde augmentée, en 1689, in-12. Joly reproche à Bayle de n’avoir pas parlé des éditions antérieures à celles de Ménage. Bayle dit lui-même n’indiquer que la meilleure. Les poésies de Malherbe ont été réimprimées à Paris, en 1722, en trois volumes in-12, avec les notes de Ménage et les observations de Chevreau.
  1. Cicero. de Senectute, cap. XIV, pag. 423. Platon, de Republ., lib. I, circà init., pag. m. 572, 573, rapporte cette réponse de Sophocle.
  2. Voyez Baillet, Jugement sur les Poëtes, IVe. partie, num. 1411, pag. 14 et suivantes. Consultez ci-dessous la remarque (H).
  3. Là même, pag. 17, 18.
  4. Identidem felicem Priamum vocabat, quod superstes omnium suorum exstitisset. Sueton., in Tiberio, cap. LXII.
  5. Voyez Balzac, entretien XXXVII, pag. m. 356 et suiv.
  6. J’ai cité, ci-dessus, citation (21), ces paroles de Racan : Un de ses amis lui fit un jour avouer, etc.
  7. Balzac, lettre IV à Conrart, liv. II, pag. m. 100, 101.
  8. Dans la préface de cette édition de Malherbe.