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MACÉDOINE.

daient dans la Macédoine avant la naissance d’Amphitryon. Il s’intéressait de telle sorte à ce qu’on dirait de lui après sa mort, qu’il souhaitait de pouvoir revenir au monde pour autant de temps qu’il lui en aurait fallu, afin de connaître comment on lirait ses historiens [1]. Par cet insatiable désir de louange, il rendait plus de justice à la valeur de ses ennemis, qu’à celle de ses capitaines ; car tout ce qu’il ôtait à ceux-ci, et tout ce qu’il donnait à ceux-là, lui revenait avec usure. Simpliciùs famam æstimabat in hoste quàm in cive ; quippè à suis credebat magnitudinem suam destrui posse, eandem clariorem fore quo majores fuissent quos ipse vicisset [2].

(E) Il prenait pour un crime que l’on doutât du succès de ses entreprises. ] Ceux qui par son ordre avaient tué Parménion ne lui allèrent pas rendre compte de ce service important sans quelque sujet d’inquiétude ; car ils furent suivis par des députés de la province qu’ils avaient gouvernée, lesquels avaient ordre de les accuser de plusieurs crimes. On étala les pilleries de ces gouverneurs, les sacriléges qu’ils avaient commis, leurs attentats sur l’honneur des dames [3]. Alexandre ayant examiné cette accusation déclara que les députés avaient oublié le plus atroce, c’est que les accusés avaient cru qu’il ne reviendrait jamais de l’expédition des Indes ; car s’ils avaient cru, disait-il, que j’en reviendrais, ils n’auraient pas eu la hardiesse de se porter à ces violences. Rex, cognitâ caussâ, pronunciavit ab accusatoribus unum et id maximum crimen esse præteritum, desperationem salutis suæ, nunquàm enim talia ausuros, qui ipsum ex Indiâ sospitem aut optâssent reverti, aut credidissent reversurum. Igitur hos quidem vinxit, dc autem militum qui sævitiæ eorum ministri fuerant, interfici jussit [4].

(F) Il était assez impie pour vouloir qu’on le regardât comme un dieu. ] Une fine politique l’obligea à faire croire qu’il était fils de Jupiter, et à souffrir les honneurs de l’adoration. Il avait éprouvé que cela portait les peuples barbares à se soumettre, et dans le fond, qui oserait prendre les armes contre un conquérant qu’il regarderait comme un dieu ? Il était donc de son intérêt que l’on eût de lui cette opinion avantageuse ; aussi la fomentait-il adroitement. Il était plus réservé là-dessus envers les Grecs qu’envers les barbares [5] : c’est que les Grecs étaient plus habiles, et moins opposés à ses desseins. Il avoua un jour publiquement, que le bien de ses affaires avait demandé qu’il passât pour dieu, et qu’il souhaitait que les Indiens le prissent pour dieu. Illud penè dignum risu fuit, quod Hermolaus postulabat à me ut aversarer Jovem cujus oraculo adgnoscor. An etiam quid Dii respondeant, in meâ potestate est ? Obtulit nomen filii mihi ; recipere ipsis rebus quas agimus haud alienum fuit. Utinàm Indi quoque Deum esse me credant ! Famâ enim bella constant, et sæpè etiam, quod falsò creditum est, veri vicem obtinuit [6]. Je me laisserais aisément persuader qu’à force de le dire aux autres, et d’entendre ceux qui le flattaient sur ce chapitre, il vint quelquefois à croire qu’il était dieu, ou à douter s’il ne l’était point ; car il n’y a guère de pensées de vanité qu’un bonheur et qu’une puissance extraordinaire, avec les adresses d’une flatterie sans bornes, ne soient capables d’inspirer [7] : mais je ne crois point que cette opinion ou ce doute aient jamais pu prendre racine dans son âme. Il disait que deux choses l’empêchaient de croire qu’il fût immortel, le dormir, et la jouissance des femmes. Ἐλεγε δὲ μάλιςα συνιέναι θνητὸς ὢν ἐκ τοῦ καθεύδειν καὶ συνουσιάζειν· ὡς ἀπὸ μιᾶς ἐγγινόμενον

  1. Locianus quomodò conscribenda sit Historia. Oper. tom. I, pag. 64, edit. Salmur.
  2. Quintus Curtius, lib. VIII, sub fin.
  3. Quùm omnia profana spoliâssent, ne sacris quidem abstinuerant : virginesque et principes feminarum stupra perpessæ, corpurum indibria deflebant. Idem, lib. X, cap. I.
  4. ldem, ibidem.
  5. Τοῖς δε Ἕλλησι μετρίως καὶ ὑποϕειδόμενος ἑαυτὸν ἐξεθείαζεν. Apud Græcos verò divinitatem usurpabat modicè et parciùs. Plutarch., in ejus Vitâ, pag. 681, A.
  6. Quintus Curtius, lib. VIII, cap. VIII. Consultez là-dessus le Commentaire de Freinshémius.
  7. Nihil est quod credere de se
    Non possit, cùm laudatur Diis æqua potestas.
    Juven., sat. IV, vs. 70.