Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T10.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
190
MANICHÉENS.

trie, sur deux vaisseaux destinés à cet emploi. Ces deux vaisseaux sont le soleil et la lune. Ipsam verò boni à malo purgationem ac liberationem non solùm per totum mundum, et de omnibus ejus elementis virtutem Dei facere dicunt ; verùm etiam electos suos per alimenta quæ sumunt, et eis quippè alimentis, sicuti universo mundo, Dei substantiam perhibent esse commixtum, quam purgari putant in electis suis eo genere vitæ, quo vivunt electi manichæorum, velut sanctius et excellentius auditoribus suis[1]... Quicquid verò undique purgatur luminis per quasdam naves (quas esse lunam et solem volunt) regno Dei tanquàm propriis sedibus reddi[2]. Ces hérétiques « s’imaginaient que pour sauver les âmes Dieu avait fait une grande machine composée de douze vaisseaux, qui élevaient insensiblement les âmes en haut, et ensuite se déchargeaient dans la lune, laquelle, après avoir purifié ces âmes par ses rayons, les faisait passer dans le soleil et dans la gloire, expliquant par-là les différentes phases de la lune : elle était dans son plein quand les vaisseaux y avaient apporté quantité d’âmes, et elle était en décours à proportion qu’elle s’en déchargeait dans la gloire[3].  » Il y avait dans ces vaisseaux, disaient-ils, certaines vertus qui prenaient la forme d’homme, afin de donner de l’amour aux femmes de l’autre parti ; car pendant l’émotion de la convoitise, la lumière qui est engagée dans les membres s’enfuit, et on la reçoit dans les vaisseaux de transport, qui la remettent en sa place naturelle. Esse autem in eis navibus sanctas virtutes, quæ se in masculos transfigurant, ut illiciant fœminas gentis adversæ, et per hanc illecebram commota eorum concupiscentia fugiat de illis lumen, quod membris suis permixtum tenebant, et purgandum susceperant ab angelis lucis, purgatumque illis navibus imponatur ad regna propria reportandum[4]. Pendant que certaines vertus prenaient la figure d’homme, d’autres prenaient celle de femme, afin de donner de l’amour aux hommes, et de faire en sorte réciproquement que ce feu de lasciveté séparât les substances de lumière, d’avec les substances ténébreuses. Certè illi libri manichæi sunt omnibus sinè dubitatione communes, in quibus libris illa portenta ad illiciendos, et per concupiscentiam dissolvendos utriusque sexûs principes tenebrarum, ut liberata fugiat ab eis, quæ captivata tenebatur in eis divina substantia, de masculorum in fœminas, et fœminarum in masculos transfiguratione conscripta sunt[5]. Si vous joignez à cela qu’ils se figuraient que les parties de lumière étaient beaucoup plus entrelacées avec les parties ténébreuses, dans les personnes qui travaillent à la génération, que dans les autres[6], vous comprendrez l’alliance monstrueuse qu’ils formaient entre ces deux dogmes ; l’un qu’il ne fallait point se marier, ni procréer des enfans ; l’autre qu’on pouvait lâcher la bride aux transports de la nature, pourvu que l’on empêchât la conception. Et si utuntur conjugibus, conceptum tamen generationemque devitant, ne divina substantia quæ in eos per alimenta ingreditur vinculis carneis ligetur in prole[7]. Il semble qu’ils aient cru que Saclas, l’un des princes des ténèbres, plus grand dévoreur d’enfans que Saturne, ne trouva point de meilleur moyen de tenir dans une étroite prison les particules divines qu’il avait mangées, que celui de la génération, et que pour cet effet il s’approcha de sa femme, et lui fit deux enfans qui furent Adam et Ève. Adam et Evam ex parentibus principibus fumi asserunt natos, cùm pater eorum nomine Saclas sociorum suorum fœtus omnium devorâsset, et quicquid indè commixtum divinæ substantiæ ceperat, cum uxore concumbens in carne prolis, tanquàm tenacissimo vinculo, colli-

  1. Augustin., de Hares., cap. XLVI, folio 115, in editione Lamberti Danæi.
  2. Ibidem, folio 115 verso.
  3. Basnage, Histoire de la Religion des Églises réformées, tom. I, pag. 125, 126.
  4. Augustin., de Hæresibus, cap. XLVI.
  5. Idem, ibidem, folio 116.
  6. In cæteris autem hominibus, etiam in ipsis auditoribus suis, hanc partem bonæ divinæque substantiæ, quæ mixta et colligata in escis et potibus detinetur, maximèque in eis qui generant filios, arctiùs et inquinatiùs colligari putant Ibid., folio 115.
  7. Augustin., ibidem, folio 117.