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MANICHÉENS.

gâsset[1]. Or parce qu’ils regardaient leurs élus comme de très-bons purificateurs, je veux dire comme de personnes qui filtraient admirablement les parties de la substance divine embarrassées et emprisonnées dans les alimens[2], ils leur donnaient à manger les principes de la génération, et l’on prétend qu’ils les mêlaient avec les signes de l’Eucharistie ; chose si abominable, que M. de Meaux a raison de dire, qu’on n’ose même y penser, loin qu’on puisse l’écrire[3]. Voici les paroles de saint Augustin : Quâ occasione vel potiùs execrabilis superstitionis quâdam necessitate coguntur electi eorum velut Eucharistiam conspersam cum semine humano sumere, ut etiam indè, sicut de aliis cibis quos accipiunt, substantia illa divina purgetur [4]..... Ac per hoc sequitur eos, ut sic eam et de semine humano, quemadmodùm de aliis seminibus, quæ in alimentis sumunt, debeant manducando purgare. Undè etiam Catharistæ appellantur, quasi purgatores, tantâ eam purgantes diligentiâ, ut se nec ab hâc tam horrendâ cibi turpitudine abstineant[5]. Ils ne demeuraient pas d’accord qu’ils commissent cette abomination ; mais on prétend qu’ils en furent convaincus [6]. Rapportons ces paroles d’un moderne : « Comme ils croyaient que l’esprit venait du bon principe, et que la chair et le corps étaient du méchant, ils enseignaient qu’on le devait haïr, lui faire honte, et le déshonorer en toutes les manières qu’on pourrait ; et sur cet infâme prétexte il n’y a sortes d’exécrables impudicités dont ils ne se souillassent dans leurs assemblées[7]. » saint Augustin ne leur attribue pas ce raisonnement ; je ne dis pas néanmoins que M. Maimbourg se trompe ; car on rapporte en plusieurs manières la doctrine et la conduite des manichéens : ce qui vient sans doute ou de ce qu’ils ont varié d’un siècle à l’autre, ou de ce que tous leurs docteurs contemporains ne s’expliquaient pas de la même sorte, ou enfin de ce que tous leurs adversaires ne les entendaient pas bien. On a trouvé bon d’exterminer tous les livres des manichéens : cela peut avoir eu ses utilités ; mais il en résulte un petit inconvénient : c’est que nous ne pouvons pas être assurés de leur doctrine, comme nous le serions en consultant les ouvrages de leurs plus savans auteurs. Par les fragmens de leur système que l’on rencontre dans les pères, il paraît évidemment que cette secte n’était point heureuse en hypothèses, quand il s’agissait du détail. Leur première supposition était fausse ; mais elle empirait entre leurs mains par le peu d’adresse et d’esprit philosophique, qu’ils employaient à l’expliquer et à l’appliquer.

(C) Ce faux dogme ; beaucoup plus ancien que Manès.... ] Nous avons vu qu’il le trouva dans les livres que Térébinthus avait hérités de son maître Scythien. Il n’est pas vrai, comme le suppose saint Épiphane, que ce Scythien ait vécu du temps des apôtres [8] : il fallait seulement dire qu’il aurait pu être l’aïeul de Manès ; mais il est très-vrai que le dogme des deux principes était connu dans le monde long-temps avant la prédication des apôtres. Scythien en fut redevable à Pythagore, si nous en croyons saint Épiphane[9]. Quelques-uns [10] disent que Térébinthus l’emprunta d’Empédocle. Les gnostiques, les cerdoniens, les marcionites, et plusieurs autres sectaires qui firent entrer cette mauvaise doctrine dans le christianisme, avant que Manès fit parler de lui, n’en furent pas les inventeurs : ils la trouvèrent dans les livres des philosophes païens. Plutarque va nous apprendre l’antiquité et l’universalité de ce système, non pas comme un simple historien,

  1. Idem, ibidem.
  2. Voyez la dernière remarque.
  3. Histoire des Variations, liv. XI, num. 25, pag. m. 129.
  4. August, de Hæresibus, cap. XLVI, folio 115 verso.
  5. Ibidem, folio 116 verso.
  6. Idem, ibidem., folio 116.
  7. Maimbourg, Histoire de saint Léon, liv. I, pag. 17, 18.
  8. Saint Épiphane, adversus Hæreses, pag. 620, suppose que Scythien alla à Jérusalem pour conférer avec les apôtres. Il y serait donc allé avant que Titus prît la ville : ainsi son disciple n’aurait pu vivre en même temps que Manès, au IIIe. siècle.
  9. Ibidem, pag. 619.
  10. Suidas, in Μάνης.