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MARCIONITES.

teur, on ne saurait les démêler à travers les brouilleries que l’on trouve sur ce sujet dans les anciens pères. Selon saint Épiphane[1] il vint à Rome après la mort du pape Hygin, c’est-à-dire, suivant le compte de Baronius, après l’an de grâce 157. Tertullien prétend qu’il vint à Rome sous le pape Anicet[2] : c’est-à-dire, si nous en croyons M. Wetstein, sous l’empire d’Antonin Pius, « Romanis tunc imperante Antonio Pio, undè Tertull., l. 1, c. 19, adv. Marc. eum Antoninianum hæreticum, sub Pio impium vocat, id est circà annum Christi 154[3]. Mais comme les deux passages de Tertullien, l’un en vers, l’autre en prose, s’entre-détruisent, il ne fallait pas les confirmer l’un par l’autre, ni les rapporter tous deux à l’empire d’Antonin Pius. Consultez les Annales de Baronius, vous y trouverez la mort de cet empereur sous l’an 163 ; et celle du pape Pie, et l’exaltation d’Anicet, sous l’an 167 : de sorte que s’il est vrai que Marcion soit venu à Rome sous le pontificat d’Anicet, il est faux qu’il y soit venu sous Antonin Pius ; et par conséquent Tertullien n’a pu dire la vérité dans ses vers, sans dire un mensonge dans sa prose et vice versâ. Il a dit en un autre endroit que cet hérétique fut chassé et rechassé de la communion des fidèles sous le pape Éleuthère : Constat illos (Marcionem ac Valentinum) neque adeò olim fuisse, Antonini ferè principatu et in catholicam primo doctrinam credidisse apud ecclesiam romanensem, donec sub episcopatu Eleutherii benedicti ob inquietam semper eorum curiositatem quâ fratres quoque vitiabant, semel et iterùm ejecti, Marcion quidem cum ducentis sestertiis suis quæ ecclesiæ intulerat, novissimè in perpetuum discidium relegati venena doctrinarum suarum disseminaverunt[4]. C’est nous mener bien loin de l’empire d’Antonin ; car Pius Éleuthère fut créé pape l’an 159. Outre qu’il n’y a nulle apparence que l’on ait différé jusques au pontificat d’Éleuthère à excommunier Marcion, qui s’était rendu si abominable par ses hérésies sous le pontificat d’Anicet, que saint Polycarpe l’appela le fils aîné de Satan. Consultez saint Irénée[5], qui rapporte que saint Polycarpe étant allé à Rome au temps du pape Anicet, ramena plusieurs sectateurs de Marcion, et repoussa cet hérétique par l’éloge que j’ai rapporté. Ce fut pour répondre à la demande que Marcion lui avait faite, ne me connaissez-vous pas[6] ? Baronius observe que Marcion commença de dogmatiser sous l’empire d’Hadrien[7] : cela se prouve par Origène, qui dit que le philosophe Celsus, qui écrivit contre les chrétiens sous cet empereur, parle souvent des erreurs de cet hérétique. Philastrius semble confirmer cela, quand il dit que Marcion, avant que d’aller à Rome, fut convaincu de ses faux dogmes dans l’Asie, par saint Jean, et chassé d’Éphèse[8]. On supposera tant qu’on voudra qu’il fut excommunié diverses fois, et qu’il fit plusieurs voyages à Rome, on n’excusera jamais Tertullien d’avoir parlé sans aucune exactitude.

Voyons un passage de Lambert Daneau, où il y a quelques fautes. Venit (Marcion) Romam, quemadmodùm lib. 1. Advers. eum scribit Tertull. sub Antonino Pio, circà annum à Christo passo 115, sub Hygino, ut ait Platina : Tertullian. sub Eleuthero. Cœpit autem post Cerdonem innotescere illius hæresis sub M. Antonino philosopho imperatore, et Aniceto pontifice romano, circà annum à passo Christo 133. quanquàm Clemens, lib. 7 Stromat. vult adhuc eo ipso tempore vixisse Romæ Valentinum hæreticum, quem jam senem Marcion juvenis viderit[9]. 1o. C’est une bévue que de n’avoir pas aperçu

  1. Epiphan., adv. Hæreses, pag. m. 302.
  2. A quo Pio suscepit Anicetus ordine sortem,
    Sub quo Marcion hic veniens nova pontica pestis.

    Tertull. Carm., lib. III adversùs Marcion.

  3. Joh. Rodolphus Wetrstenius, Not. in Origenis dial. contrà Marcionitas, p. 3, edit. 1674.
  4. Tertullianus, de Præscript., cap. XXX.
  5. Irenæus, lib. III, cap. III. Voyez aussi Eusèbe, lib. IV, cap. XIV.
  6. Voyez les Notes de Henri Valois sur Eusèbe, liv. IV, chap. XV, où ces paroles ne sont pas prises comme une interrogation, mais pour saluez-moi.
  7. Baronius, ad ann. 146, num. 7.
  8. Philastrius, de Hæres., cap. XLVI.
  9. Lambertus Danæus, in Comment. ad librum D. Augustini de Hæresibus, folio 58, edit. Genevensis, 1578, in-8o.