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MACHIAVEL.

busent grossièrement (M). On a débité que c’était un livre dont Catherine de Médicis faisait son étude particulière, et qu’elle mettait entre les mains de ses enfans (N). Ceux qui font cette observation ne manquent pas de l’accompagner de plusieurs termes injurieux, et à cette reine, et à notre Nicolas Machiavel. Il y a bien peu d’auteurs qui parlent de lui sans donner leur malédiction à sa mémoire [a]. Quelques-uns l’excusent, et se portent pour ses défenseurs [b] ; et il y en a même qui le regardent comme un écrivain fort zélé pour le bien public (O), et qui n’a représenté les artifices de la politique qu’afin d’inspirer de l’horreur contre les tyrans, et d’exciter tous les peuples au maintien de la liberté. Si l’on peut révoquer en doute que ç’ait été son véritable motif, on doit pour le moins reconnaître qu’il se montra par sa conduite bien animé de l’esprit républicain (P). L’un de ses plus nouveaux antagonistes est le père Lucchésini, jésuite italien, consulteur de la congrégation des rites. Voyez son Saggio della Sciocchezza di Nicolo Machiavelli, imprimé à Rome, l’an 1697 [c]. L’auteur de l’Appendix du traité de Litteratorum Infelicitate a placé Machiavel dans son catalogue [d], et n’a pas eu tort ; car ce Florentin fut persécuté de la mauvaise fortune autant qu’un autre (Q).

  1. Voyez Clasen, au chapitre IX de son Traité de Religione politicâ, pag. 162, édit. 1682.
  2. Voyez les remarques (D) et (E).
  3. Le Journal de Leipsic. 1698, pag. 352, en donne l’extrait.
  4. Voyez Cornelius Tollius, in Appendice ad Pierrium Valerianum, pag. 20, 21.

(A) Il fut au service d’un savant homme, qui, lui ayant indiqué plusieurs beaux endroits des anciens, lui donna lieu de les insérer dans ses ouvrages. ] Ce fut Marcellus Virgile, comme nous l’apprenons de Paul Jove qui le tenait de Machiavel. Constat enim, sicuti ipse nobis fatebatur, à Marcello Virgilio, cujus et notarius, et assecla publici muneris fuit, græcæ atque latinæ linguæ flores accepisse, quos scriptis insereret [1].

(B) Il fit une comédie sur le modèle des anciens Grecs. ] Il y joua plusieurs Florentins qui n’osèrent témoigner le chagrin qu’ils en conçurent. Comiter æstimemus Etruscos sales, ad exemplar comœdiæ veteris Aristophanis, in Niciâ præsertim comœdiâ ; in quâ adeò jucundè vel in tristibus risum excitavit, ut illi ipsi ex personâ scitè expressâ, in scenâ inducti cives, quanquàm præaltè commorderentur, totam inustæ notæ injuriam civili lenitate pertulerint : actamque Florentiæ, ex eâ miri leporis fama Leo pontifex, instaurato ludo, ut Urbi ea voluptas communicaretur, cum toto scenæ cultu, ipsisque histrionibus Romam acciverit [2]. Ces paroles de Paul Jove nous apprennent que le pape, ayant appris le grand succès que cette pièce avait eu sur le théâtre de Florence, donna ordre qu’elle fût jouée à Rome, par les mêmes acteurs, et avec les mêmes décorations. Je ne sais d’où M. Varillas a pris tant d’autres particularités qu’il n’a point lues dans Paul Jove. Voici son narré [3] : Un jour que Machiavel contrefaisait les gestes et les démarches irrégulières de quelques-uns des Florentins, le cardinal lui dit qu’elles paraîtraient bien plus ridicules sur le théâtre, dans une comédie faite à l’imitation de celles d’Aristophanes. Il n’en fallut pas davantage pour disposer Machiavel à travailler à Sanitia [4], les personnes qu’il voulait jouer se trouvèrent si vivement dépeintes, qu’elles n’osèrent s’en fâcher, quoiqu’elles assistassent à la première

  1. Paul. Jov., El., c. LXXXVII, p. m. 206.
  2. Idem, ibidem, pag. 205.
  3. Varillas, Anecdotes de Florence, p. 248.
  4. Paul Jove nomme cette comédie Nicia : il aurait donc fallu imprimer sa Nicia. Cette pièce ne paraît point dans les Œuvres de Machiavel. On n’y trouve que deux comédies : la première est intitulée Mandragola, et la seconde Clitia.