Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T10.djvu/313

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
303
MARILLAC.

vu que d’ailleurs il représentait ce maréchal comme un seigneur avide de gloire. « Il semblerait, dit-il[1], à ne prendre que l’écorce de ce discours, qu’il ne peut être fait pour un même homme : on y voit la bassesse de toutes sortes de vilenies, et les hautes pensées de l’honneur et des charges ; on y trouve aussi que Marillac a mis la main aux choses grandes, et l’a portée en même temps à la gorge des pauvres paysans pour en arracher le bien. Néanmoins il est aisé à comprendre que ce furent les fruits d’une même racine, et qu’il put être capable de ces deux extrêmes, à qui se voudra souvenir que le fond de son esprit était malicieux et superbe, et qu’il fallait pour soutenir le fait de son ambitieuse pauvreté, qu’il eut recours aux ordures qui déshonorent sa vie. Aussi qu’étant mené plus vite que ses propres espérances ne marchaient, il fut emporté par le courant impétueux de sa faction, où les femmes et beaucoup de gens incapables de la guerre eurent tant d’autorité, que lui qui prévalait de mine, de parole, et de bruit, acquit facilement l’opinion d’une grande valeur auprès d’eux, qui n’avaient aucune expérience de son métier. »

(G) Il se trouva à la défaite des Anglais dans l’île de Rhé. ] Nous allons apprendre qui fut l’auteur d’une relation anonyme qui parut en ce temps-là. « Il est remarquable que le garde des sceaux[2] se fit historien de ce qui se passa dans l’île à la défaite des Anglais, pour en faire avoir toute la gloire à son frère. Il ne voulut pas y mettre son nom, afin de rendre cette relation moins suspecte, et lui donner plus de créance contre la voix publique de tous ceux qui repassèrent après le combat. Il manqua bien de jugement, en lui faisant cette grande et seule harangue de son livre : car outre que parmi les gens de guerre il ne passait déjà que pour un homme de langue, et de peu d’effet, il justifiait le nom que les soldats lui donnèrent, de Marillac Pont-d’or, tant il avait de bonnes raisons pour ne combattre jamais. Il le fait se présenter aux ennemis pour les reconnaître, en ces termes : Qu’il en approcha malgré les salves des pelotons avancés, qu’il lui convint boire, sur quoi l’on disait à la première lecture de ce panégyrique ; qu’il les avait trouvés de mauvais goût, et qu’il n’y avait jamais tâté que cette fois-là…. En un mot, il veut qu’il soit l’auteur de toutes les actions de courage et de jugement, et ne laisse au maréchal de Schomberg que l’approbation de ses conseils, et à Thoiras les ouvertures téméraires et pleines de vengeance de la mort de ses deux frères. Néanmoins tout le monde sait qu’après cette action, que le roman de son frère lui attribue toute, il fut plus décrié qu’auparavant, etc.[3]. » Je supprime le reste ; c’est un trait trop satirique.

(H) Il fit la sourde oreille aux ordres que le roi lui donnait d’amener son arme de Champagne en Italie. ] Sa désobéissance dura « jusques au neuf ou dixième de septembre, que les exprès commandemens du roi, sous de grandes peines, le firent partir. Il mandait à ceux de Paris qu’il était là comme un bouclier pour les garantir des forces de l’empereur, qui n’attendait que son éloignement pour entrer en France. Il remplissait le royaume de lettres écrites à ses amis, contenant les causes de son retardement, qu’il excusait auprès du roi, tantôt par de fausses nouvelles, et tantôt sur l’impuissance de tirer les troupes des garnisons, sans paiement des soldats et des communautés qui les avaient nourris. Ce délai produisait un si notable dommage aux desseins du roi, que toutes les délibérations de ceux qu’il avait chargés des affaires et de l’armée delà les monts, étaient douteuses sur l’incertitude de sa venue, qu’il promettait par une dépêche, et la différait aussitôt par une autre pour des raisons frivoles et trompeuses ; et pourtant avec une telle perte d’hommes et

  1. Là même, pag. 793.
  2. C’est-à-dire Michel de Marillac, frère de celui dont il s’agit dans cet article.
  3. Du Châtelet, Observations sur la vie et la condamnation de Marillac, pag. 779.