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MAROT.

Dont je l’osay lire devant les veux
Tant clervoyans de ta majesté haute,
Qui ha pouvoir de reformer leur faute [1].


Il nous apprend ensuite une chose dont ses historiens ne font point mention ; c’est qu’il fut saisi prisonnier pendant une grande maladie, et que le roi donna ordre qu’on le laissât en repos.

.....Mesmes un jour ils vindrent
A moy malade, et prisonnier me tindrent ;
Faisans arrest sus un homme arresté
Au lict de mort, et m’eussent pis traité,
Si ce ne fust ta grand’ bonté, qui à ce
Donna bon ordre avant que t’en priasse,
Leur commandant de laisser choses telles :
Dont je te rends graces tres immortelles [2].


Puis il passe à satiriser la Sorbonne, et à protester que les soupçons d’hérésie qu’on avait tâché de faire naître contre lui dans l’esprit du roi étaient injustes. Voici ce qu’il dit contre la Sorbonne :

Autant comme eux, sans cause qui soit bonne
Me veult de mal l’ignorante Sorbonne :
Bien ignorante elle est d’estre ennemie
De la trilingue et noble academie,
Qu’as erigée. Il est tout manifeste,
Que là-dedans contre ton veuil celeste
Est deffendu qu’on ne voise allegant
Hebrieu, ny grec, ny latin elegant :
Disant que c’est langage d’heretiques.
O povres gens de sçavoir tous ethiques !
Bien faites vray ce proverbe courant,
Science n’ha hayneux que l’ignorant.
Certes, ô roy, si le profond des cueurs
On veult sonder de ces sorboniqueurs,
Trouvé sera que de toy ils se deulent.
Comment douloir ? Mais que grand mal te veulent,
Dont tu as fait les lettres, et les arts
Plus reluisans, que du temps des Cesars :
Car leurs abus void on en façon telle.
C’est toy qui as allumé la chandelle,
Par qui maint œil void mainte verité,
Qui sous épesse et noire obscurité
A fait tant d’ans icy bas demeurance.
Et qu’est-il rien plus obscur qu’ignorance ?
Eux, et leur court, en absence, et en face,
Par plusieurs fois m’ont usé de menace,
Dont la plus douce estoit en criminel
M’executer [3]..............


Je ne rapporte pas le vœu héroïque qu’il ajoute. Il souhaite d’être immolé à leur rage, pourvu que l’église ne soit plus assujetie à leurs abus. Je doute qu’il poussât le zèle aussi loin qu’il le disait ; mais je ne doute point de ce qu’il dit que ces docteurs voulaient maintenir la barbarie. Cette partie du XVIe. siècle sera une tache éternelle à la Sorbonne, vu comme elle se conduisit. Passons aux protestations que ce poëte fit d’être orthodoxe :

Or à ce coup il est bien evident,
Que dessus moy ont une vieille dent,
Quand ne pouvans crime sur moy prouver,
Ont tres bien quis [4], et tres bien sceu trouver,
Pour me fascher, briefve expedition,
En te donnant mauvaise impression
De moy ton serf, pour apres à leur aise
Mieux mettre à fin leur voulonté mauvaise :
Et pour ce faire ilz n’ont certes eu honte
Faire courir de moy vers toy maint compte,
Aveques bruit plein de propos menteurs,
Desquelz ilz sont les premiers inventeurs.
De lutheriste ilz m’ont donné le nom :
Qu’a droit ce soit, je leur responds que non.
Luther pour moy des cieux n’est descendu :
Luther en croix n’ha point esté perdu
Pour mes pechez : et tout bien advisé,
Au nom de luy ne suis point baptizé :
Baptizé suis au nom qui tant bien sonne,
Qu’au son de luy le pere eternel donne
Ce que l’on quiert : le seul nom sous les cieux
En, et par qui, ce monde vicieux
Peut estre sauf ; le nom tant fort puissant,
Qu’il ha rendu tout genouil flechissant,
Soit infernal, soit celeste, ou humain :
Le nom, par qui du seigneur Dieu la main
M’ha preservé de ces grands loups rabis,
Qui m’espioient dessous peaux de brebis [5].

(G) Il obtint... la permission de revenir l’an 1536. ] Cette date se vérifie par son poëme intitulé le Dieugard à la Cour [6]. Il le composa peu-après son arrivée ; il y parle de la mort du dauphin, et du mariage de la princesse Magdeleine [7], et il remarque qu’elle partirait bientôt. Or le dauphin fut empoisonné au mois d’août 1536, et la princesse Magdeleine épousa le roi d’Écosse le Ier. de l’an 1537. Joignez à cela que Marot témoigne qu’il arriva à Lyon un peu après que François Ier. en fut parti [8].

Si qu’à Dieu rends graces un million,
Dont j’ai atteint le gracieux Lyon,
Où j’esperoys à l’arrivee transmettre
Au roy François humble salut en mettre [9] :
Conclud estoit. Mais puis qu’il en est hors,
A qui le puis-je, et doy-je addresser, fors
A toy qui tiens par prudence loyale,
Icy le lieu de sa hauteur royale [10] ?


  1. Là même, pag. 176.
  2. Là même, pag. 177.
  3. Là même.
  4. C’est-à-dire, cherché.
  5. Marot, Epître au Roi, du temps de son exil à Ferrare, pag. 178,
  6. Pag. m. 191.
  7. Il l’appelle Reine Magdeleine : cela ne prouve pas que les noces fussent faites. Il suffisait que le mariage fût arrêté.
  8. Ce prince en partit après que l’empereur Charles-Quint se fut retiré de Provence, pendant l’automne de l’an 1536.
  9. C’est-à dire envers.
  10. Marot, dans son poëme au cardinal de Tournon, pag. 189.