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MAROT.

M. Maimbourg dit que la duchesse de Ferrare obtint du roi le retour de notre poëte, sur l’assurance qu’elle donna qu’il serait désormais plus sage [1]. D’autres disent que François Ier. n’accorda à cette duchesse sa demande, qu’à condition que Marot rentrerait dans la religion romaine qu’il avait quittée, et serait plus discret à l’avenir [2]. Je n’ai point vu dans les Œuvres de Marot, que cette princesse se soit mêlée de cela et je doute que son zèle pour la religion protestante lui ait permis de négocier à de telles conditions le rappel d’un homme. Ce qu’il y a de certain, c’est que Marot, priant le dauphin de lui obtenir un passe-port pour six mois, déclara qu’il avait appris en Italie à être fort circonspect dans ses discours, et à ne parler jamais de Dieu.

Il le feroit [3], s’il savoit bien comment
Depuis un peu je parle sobrement :
Car ces Lombards, avec qui je chemine,
M’ont fort apris à faire bonne mine,
A un mot seul de Dieu ne deviser,
A parler peu, et à poltronniser.
Dessus un mot une heure je m’arreste :
S’on parle à moy, je respons de la teste.
Mais je vous pry mon saufconduit avons,
Et de cela plus ne nous esmayons [4].

(H) On prétend qu’il débaucha son hôtesse à Genève, et que la peine de mort... fut commuée..…. par la recommandation de Calvin. ] Tous ceux qui disent cela se fondent sur le témoignage de Cayet : c’est lui qu’il faut prendre pour le premier et pour le seul déposant. Florimond de Rémont, que l’on cite aussi, n’est que son copiste. Comme pour avoir bien lu et médité les psaumes, en les traduisant si mal, ce sont les paroles de M. Maimbourg, il n’en était pas devenu [* 1] plus homme de bien ; et qu’ensuite menant à son ordinaire une vie très-licencieuse, il eût débauché la femme de son hôte, ce qu’on punissait de mort à Genève, Calvin, par son crédit, fit [* 2] changer cette rigoureuse peine en une autre plus douce, qui fut celle du fouet qu’il eut par tous les carrefours [5]. Voici les paroles d’un autre écrivain : Ayant commis à Genève un adultère avéré, il n’eut pas manqué d’être pendu, si le crédit de Calvin n’eût fait commuer cette peine en celle d’être fouetté par les carrefours de Genève ; selon Cayet. Mais Bèze, par la considération qu’il avait pour un homme qui a suivi les mêmes erreurs que lui, et dont il a rachevé les psaumes, n’a pas expliqué ce fait si nettement [6]. Il est vrai que Théodore de Bèze se contente d’observer en général, que Clément Marot ne put jamais corriger l’habitude des mauvaises mœurs qu’il avait gagnée à la cour de France, Quamvis (ut qui in aulâ, pessimâ pietatis et honestatis magistrâ, vitam ferè omnem consumpsisset) mores parùm christianos ne in extremâ quidem ætate emendârit [7]. Cette expression générale signifie beaucoup, et insinue en particulier que Marot. n’édifia point les Génevois par sa chasteté. Quoi qu’il en soit, je ne trouve pas vraisemblable ce que Cayet conte ; car si un poëte aussi fameux que Marot, et aussi haï dans la communion romaine, eût été fouetté par les carrefours d’une grande ville, toute l’Europe l’eût bientôt su : on l’eût insulté sur cette infamie dans plusieurs livres ; il n’eût pas osé se présenter devant ceux qui commandaient en Piémont pour le roi de France ; nous ne serions pas réduits au seul témoignage de Victor Cayet, postérieur de tant d’années à cette aventure. Quelqu’un pourrait dire que les protestans eussent publié eux-mêmes cette punition, pour faire voir jusqu’où la sévérité de la discipline était portée dans Genève : mais convenons de bonne foi que cette instance n’est point forte ; car sans être consommé dans les finesses de la politique, on juge qu’il faut ménager la réputation d’un frère persécuté [8]. Au reste, il est ridicule de reprocher aux pro-

  1. (*) Hist. ecclésiast. des Églises réf., l. 1.
  2. (*) Cayet, en son Formul. Flor. de Bœm., l. 8, c. 18.
  1. Maimbourg, Histoire du Calvinisme, liv. II, pag. 97.
  2. Vie de Marot, dans le Recueil des plus excellentes pièces des Poëtes français.
  3. C’est-à-dire le roi me rappelleroit.
  4. Marot, Épître à monseigneur le dauphin, pag. 183.
  5. Maimbourg, Hist. du Calvinisme, liv. II, pag. m. 99.
  6. Vie de Clément Marot, dans le Recueil des plus excellentes pièces.
  7. Beza, in Iconibus.
  8. Notez que les registres publics de Genève ne font aucune mention de cette peine de Clément Marot. Voyez M. Jurieu, Apologie pour les Réformés, chap. VII, pag. 124.