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MAROT.

marquerai par occasion une autre chose contre le même écrivain, au sujet du livre dont j’ai tiré le passage que l’on a vu : c’est la traduction latine du traité des schismes, composé en français par Jean le Maire de Belges. Elle fut imprimée à Leipsic, l’an 1572, avec des notes. Louis Camérarius ignore que Jean Schardius eût déjà fait imprimer[1] une traduction latine du même ouvrage, l’an 1566. Vossius ne connaissait pas la traduction de Louis Camérarius ; car il ne fait mention que de l’autre[2]. Notez que Marot, dans sa lettre à madame de Soubise, parle de Jean le Maire sans observer qu’il en eût été instruit.

Or adieu donc, noble dame, qui uses
D’honnesteté tousjours envers les muses.
Adieu par qui les muses desolées
Souventesfois ont été consolées,
Adieu qui voir ne les peult en souffrance.
Adieu la main qui de Flandres en France
Tira jadis Jean le Maire Belgeois,
Qui l’ame avoit d’Homere le Gregeois[3].


Mais voici ce que je trouve dans les recherches d’Étienne Pasquier : Notre gentil Clément Marot en la seconde impression de ses Œuvres reconnaissait que ce fut Jean le Maire de Belges qui lui enseigna de ne faillir en la coupe féminine[* 1] au milieu d’un vers[4].

(M) Il n’y a que trop de pièces obscènes parmi ses œuvres. ] Il suivait en cela, et l’esprit du temps, et celui des meilleurs poëtes de l’antiquité, et qui pis est, ses mœurs et son train de vie : car il était non-seulement un poëte de cour, mais aussi un homme qui aimait les femmes, et qui ne pouvait renoncer aux plaisirs des sens. Nous avons vu en latin le témoignage que Théodore de Bèze lui a rendu [5] : voyons ici en français comment il parle : Clément Marot, depuis son retour d’Italie à la cour, estoit fort mal voulu de la Sorbonne, pour avoir traduit tres-heureusement en langue française trente psaumes de David, dediés au roi, qui les trouva si bons, qu’ils furent imprimez. Mais si fut-il contraint de se saulver, et feit sa retraitte à Geneve, où il en traduit encores vingt. Mais, aiant esté toujours nourri en une tres-mauvaise escole, et ne pouvant assubjectir sa vie à la reformation de l’Evangile, il s’en alla passer le reste de ses jours en Piemont alors possedé par le roi, où il usa sa vie en quelque seureté sous la faveur des gouverneurs[6]. Il faut néanmoins avouer que les obscénités de Clément Marot sont moins grossières et mieux voilées, que celles des anciens poëtes romains, et que celles de plusieurs poëtes français camarades de Théophile. Ce qu’il y a d’étrange, c’est que les talens de son esprit, son sel, le tour agréable, vif, aisé, ingénieux de sa muse ne se font jamais sentir avec plus de distinction, que lorsqu’il traite un sujet sale. N’est-ce pas une chose étrange, que la plupart des poëtes aient le malheureux don de réussir de ce côté-là mieux que sur d’autres sujets ? Tel poëte dont les vers seraient insipides, s’il n’osait s’émanciper à la moindre liberté, fait des pièces excellentes[7] dès qu’il se met au-dessus de la pudeur. Cela ne saurait venir de la nature même de la poésie : il faut donc que cela vienne de la corruption du cœur de l’homme. Quelle qu’en puisse être la cause, l’effet a paru certain à ceux qui ont donné pour maxime qu’un poëte doit être chaste quant à sa personne, mais non pas quant à ses vers, vu qu’ils ne sauraient être gracieux et assaisonnés de sel, s’ils ne sont un peu impudiques.

Num castum esse decet pium poetam
Ipsum. Versiculos nihil necesse est :
Qui tum denique habent salem, ac leporem,
Si sunt molliculi, ac parùm pudici,
Et quod pruriat incitare possunt,
Non dico pueris, sed his pilosis,
Qui duros nequeunt movere lumbos[8].


Maxime fausse, ou pour le moins

  1. (*) Marot fait cet aveu dans sa lettre à ses confrères en Apollon. Elle est datée de Paris, du 12 d’août 1532, et se trouve en tête de l’Adolescence Clémentine de cette année-là. Rem. crit.
  1. À Bâle, avec les quatre livres de Theodoricus à Niem Historiarum sui temporis.
  2. Vossius, de Histor. lat., pag. 650.
  3. Marot, Epître à madame de Soubise, pag. 209.
  4. Pasquier, Recherches, liv. VII, chap. V, pag. m. 612. Voyez les paroles de Marot, dans la remuarque (R).
  5. Dans la remarque (H), citation (38).
  6. Bèze, Histoire ecclés. des Églises, liv. I, pag. 33.
  7. Poétiquement parlant, mais non pas moralement parlant.
  8. Catul., epigr. XVI.