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MÉLANCHTHON.

François Ier. pour s’excuser de ce qu’il ne pouvait pas permettre que Mélanchthon allât en France [1]. Sa lettre est datée du 28 d’août 1535. Notez qu’au mois de décembre de la même année, Langei sollicitait en Allemagne que l’on envoyât Mélanchthon, ou quelques autres théologiens, au roi son maître [2]. Comment ajusterez-vous cela avec le narré de Maimbourg, ou avec M. de Mézerai qui assure [3] qu’en 1533 le roi écrivit à Mélanchthon, par Guillaume du Bellai Langei [4] ; mais que le cardinal de Tournon et les théologiens de Paris le portèrent à lui faire savoir qu’il le dispensait de prendre cette peine ? Je ne touche point aux brouilleries de M. Varillas ; on les verra ci-dessous [5]. Notez aussi que Mélanchthon envoya en France un petit écrit qui contenait ses conseils sur la pacification des controverses. Il ne le publia pas ; mais on le trouve dans la compilation de Pézelius [6]..

J’ai lu dans une lettre écrite à Érasme par Thomas Morus [7], que Tindale avait mandé que Mélanchthon était à la cour de France, qu’il avait parlé à lui, et qu’il l’avait vu entrer dans Paris, escorté de cent cinquante chevaux : Tyndalus hæreticus nostras, qui et nusquàm et ubique exulat, scripsit hic nuper Melanchthonem esse apud regem Galliæ ; semet collocutum cum eo, que illum vidisset exceptum Parisiis, comitatu CL equorum : addebat se timere Tyndalus, ne si Gallia per illum reciperet verbum Dei, confirmaretur in fide Eucharistiæ contra Vicleficam sectam. Se peut-il faire que des personnes de mérite osent mander de pareils mensonges à leurs amis ?

(G) Il dit... que la mort le délivrerait des persécutions théologiques. ] Quelques jours avant sa mort il écrivit sur un morceau de papier, en deux colonnes, les raisons pourquoi il ne devait pas avoir regret de quitter la terre. L’une de ces colonnes contenait les biens que la mort lui procurerait, l’autre contenait les maux dont la mort le délivrerait [8]. Il ne mit que deux articles dans celle-ci : 1°. Qu’il ne pécherait plus ; 2°. qu’il ne serait plus exposé ni aux chagrins, ni à la rage des théologiens [9]. L’autre colonne contenait six chefs : 1°. qu’il viendrait à la lumière ; 2°. qu’il verrait Dieu ; 3°. qu’il contemplerait le fils de Dieu ; 4°. qu’il apprendrait ces mystères admirables, qu’il n’avait pu comprendre dans cette vie ; 5°. pourquoi nous avons été créés tels que nous sommes ; 6°. quelle est l’union des deux natures en Jésus-Christ [10]. Notez que l’état de l’homme a paru à ce grand théologien l’un des plus incompréhensibles mystères de la religion ; et cependant il n’y a personne, parmi ceux qui croient sans examiner, qui s’imagine que cet objet là contienne des difficultés. De là est venu qu’on a été si surpris d’apprendre par mon dictionnaire, que les sectateurs du manichéisme pouvaient faire des objections embarrassantes. Mais arrêtons-nous à notre texte, et disons que la nature, qui avait donné à Mélanchthon un tempérament pacifique, lui avait fait un présent mal assorti aux conjectures où il devait se trouver. Sa modération n’était propre qu’à être sa croix. Il se trouva comme une brebis au milieu des loups : personne ne s’accommodait de sa douceur ; elle l’exposait à toutes sortes de médisances, et lui ôtait les moyens de répondre au fou selon sa folie. Le seul avantage qu’elle lui procura fut de regarder la mort sans effroi, en considérant qu’elle le mettrait à l’abri de l’Odium theologicum, et de l’

... Infidos agitans discordia fratres [11].


Je parlerai ci-dessous [12] de la servitude où il vivait. Il a dit dans quelqu’un de ses ouvrages, qu’il avait conservé quarante ans sa profession sans avoir jamais été assuré qu’on ne

  1. Seckendorf, ubi suprà, pag. 110.
  2. Idem, ibidem.
  3. Mézerai, Abrégé chronol., tom. VI, p. m. 407, 408.
  4. Ce ne fut point lui qui porta la lettre du roi.
  5. Dans la remarque (N).
  6. Seckendorf, Hist. Luther., lib. III, pag. 108.
  7. C’est la Xe. du XXVIIe. livre, parmi les Lettres d’Érasme, pag. 1510.
  8. Melch. Adam., in Vitis Philosophorum, pag. 202.
  9. Discedes à peccatis, liberaberis ab ærumnis et à rabie theologorum. Idem, ibidem.
  10. Idem, ibidem,
  11. Virgil., Georg., lib. II, vs. 456.
  12. Dans la remarque (L).