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MÉLANCHTHON.

l’en chasserait pas avant la fin de la semaine. Publicè non dubitavit affirmare [* 1], ego jam sum hic, Dei beneficio, quadraginta annos : et nunquàm potui dicere aut certus esse me per unam septimanam mansuram esse [1].

(H) Il... eut deux fils et deux filles. ] Je n’ai rien trouvé touchant les deux fils ; mais je sais qu’Anne sa fille aînée, fut femme de George Sabinus, l’un des bons poëtes de son temps. Il l’épousa à Wittemberg, le 16 de novembre 1536 [2]. Elle n’avait que quatorze ans. Son mari l’amena en Prusse, au grand regret de Mélanchthon, l’an 1543 [3]. Il y avait eu souvent des brouilleries entre le beau-père et le gendre, parce que celui-ci, plein d’ambition, aurait voulu s’élever à des emplois politiques, et ne s’accommodait pas de l’humilité de Mélanchthon, qui se bornait à des emplois littéraires, et ne se fatiguait point pour avancer ses enfans [4]. Anne entendait bien le latin, et était très-belle [5] : son père l’aimait tendrement [6] : jugez du chagrin qu’il eut quand elle s’éloigna de lui, l’an 1543 [7], et puis quand elle mourut à Konisberg, l’an 1547 [8]. Et recueillez de tout ceci qu’il n’était heureux, ni au-dedans, ni au-dehors. Narradionem talium ideò nequaquàm omittendam duco.... ut hujusmodi quasi vulneribus inspectis quàm misera interdum via sit magnorum virorum intelligatur ; cùm ad onera reipublicæ pondus etiam domestici doloris adjicitur [9]. Son autre fille fut mariée, l’an 1550, à Gaspard Peucer, qui était un habile médecin, et qui fut fort persécuté [10]. Si vous doutiez que Mélanchthon fut bon père, je vous prierais de considérer qu’un Français le trouva un jour tenant d’une main un livre, et berçant de l’autre un enfant. Mélanchthon le voyant surpris de cela, lui fit un discours si pieux sur les devoirs paternels, et sur l’état de grâce où les enfans sont auprès de Dieu, que cet étranger sortit de là beaucoup plus docte qu’il n’y était entré [11].

N’oublions pas cette réflexion. C’est un grand bonheur aux hommes d’étude d’être exempts et d’ambition et d’avarice : cela leur épargne beaucoup de temps, beaucoup de bassesses, beaucoup de désordres. Mais pour jouir de cette belle disposition, il ne suffit pas qu’il la possèdent, il faut aussi que leur parenté en soit pourvue ; car une femme, un gendre, un fils, un proche parent, qui veulent gagner du bien, ou s’élever aux honneurs, ne laissent point en repos l’homme de lettres : ils veulent qu’il sollicite, qu’il brigue, qu’il fasse sa cour ; et s’il ne le fait pas, ils grondent et font des querelles. Mélanchthon et son beau-fils sont une preuve de ceci. Inter socerum ac generum non quidem odium aut simultas, sed alienatio tamen quædam et propè dissidum ortum fuit... Fons autem erat omnium, quod Sabinus socero nimiâ cupiditate illustris fortunæ videbatur ardere. Ille autem non tantùm adjuvari et quasi promoveri se ab ipso quantùm optabat et posse arbitrabatur, ægre ferebat [12]. Concluons de cela qu’il est malaisé de vivre heureux dans ce misérable monde [* 2], puisque la vie heureuse demande, non-seulement qu’on règle ses propres passions, mais aussi que celles de la parenté soient bien réglées.

(I) Je ferai quelques réflexions sur le penchant qu’on le blâme d’avoir eu vers le pyrrhonisme. ] « Il sembloit avoir este nourry en l’eschole de Pirrho ; car tousjours mille doutes assiegeoient son ame, pour la crainte, disoit-il, de faillir. Ses écrits estoient un perpetuel brouillis d’irré-

  1. (*) To. 1 Enarrat. Evangel., pag. 358.
  2. * Joly observe que Bayle était dans les mêmes sentimens quand il a écrit la remarque (D) de l’article Xénophanes, tom. XIV ; mais qu’il dit le contraire dans la remarque (K) de l’article Périclès, tom. XI.
  1. Melch. Adam., in Vit. Theol, p. 357.
  2. Melch. Adam., in Vit. Philos., p. 227.
  3. Camerar., in Vitâ Melanchth., p. 206.
  4. Idem, ibidem, pag. 207.
  5. Melch. Adam., in Vitis Philosoph., pag. 227.
  6. Camerar., in Vitâ Melanchth., p. 208.
  7. Voyez ce qu’il écrivit à Camérarius, apud Melchior. Adam. in Vitis Theologorum, pag. 358.
  8. Idem, ibidem.
  9. Camerar., in Vitâ Melanchth., p 377.
  10. Melch. Adam, in Vit. Medicor., pag. 377.
  11. Melch. Adam., in Vitis Philosophorum, pag. 198.
  12. Camerarius, in Vitâ Melanchthon., pag. 207.