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MÉLANCHTHON.

dre Peucer [* 1] nous apprend qu’il y était résolu. Il écrit lui-même [* 2] que Luther s’emporta si violemment contre lui, sur une lettre reçue de Bucer, qu’il ne songeait qu’à se retirer éternellement de sa présence. Il vivait dans une telle contrainte avec Luther, et avec les chefs du parti, et on l’accablait tellement de travail et d’inquiétude, qu’il écrivit, n’en pouvant plus, à son ami Camérarius : Je suis, dit-il [* 3], en servitude comme dans l’antre du Cyclope ; car je ne puis vous déguiser mes sentimens, et je pense souvent à m’enfuir. Luther n’était pas le seul qui le violentait : chacun est maître à certains momens parmi ceux qui se sont soustraits à l’autorité légitime, et le plus modéré est toujours le plus captif [1]. » Notez que ce passage de M. de Meaux ne regarde pas la contrainte où était Luther à l’égard de sa doctrine sur la Cène.

(M) Saint-Romuald assure qu’on brûla son corps à Munich. ] « Philippe Mélanchthon, natif de Bresse [2] en Allemagne, mourut à Wittemberg, âgé de soixante-trois ans, et un peu plus : c’était le compagnon individu de Martin Luther. Il fut inhumé comme lui assez honorablement par des gens de leur farine : mais à quelque temps de là [* 4] les catholiques déterrèrent son corps et le firent brûler avec grand zèle à Munich ; et parce que cependant le feu se mit au château, et que les lions en échappèrent, non sans beaucoup de danger pour les habitans de la ville, le Plessis Mornai en a pris occasion de s’écrier, Justa Domini judicia. C’est dans une lettre qu’il écrivit au sieur Languet Bourguignon [3]. » Ce bon feuillant ne cite personne, et il marque l’an 1597 : bonne preuve de son ignorance : car Languet mourut l’an 1581.

(N) M. Varillas a public des mensonges si étranges. ] « On ne parla pas moins diversement de la fin de Mélanchthon, mort presque en même temps à l’âge de soixante-trois ans et trois jours [4]. Sa mère qui l’assistait à la mort l’ayant conjuré de lui dire laquelle des religions était la meilleure, il lui répondit que les nouvelles étaient à la vérité plus plausibles, mais que la cathodique était la plus sûre. Ce qu’il y eut néanmoins de plus surprenant en lui fut que son inconstance sur le fait de la religion ne l’empêcha pas de témoigner une très-grande fermeté dans la mauvaise fortune. Il avait employé toute sa vie à l’étude, et semblait n’être pas capable d’un autre travail. Il subsistait avec sa femme et plusieurs filles [5] qu’il avait, des gages qu’il recevait de l’électeur Jean-Frédéric de Saxe, en qualité de professeur en théologie dans l’université de Wittemberg. Ces gages ne suffisaient précisément que pour entretenir la famille de Mélanchthon, qui les touchant par quartiers à point nommé, ne se mettait pas beaucoup en peine de l’avenir, parce qu’il supposait que cette source serait inépuisable à son égard. Cependant il arriva, comme on a vu dans le XVIe. livre de cette histoire, que l’électeur de Saxe perdit ses états et sa liberté, et l’on cessa de payer les gages de Mélanchthon. Ce qu’il avait de meubles était de si petite valeur, qu’il ne lui aida pas longtemps à vivre ; et il se vit en peu de mois réduit à la nécessité de mendier ou d’importuner ses amis, dont il n’y avait aucun qui n’eût fait de considérables pertes dans la révolution générale de la Saxe. L’une et l’autre de ces deux extrémités lui déplurent également ; et il aima mieux gagner sa vie à la sueur de son corps en passant dans une profession éloignée de la sienne. Il se loua à un brasseur de bière, et travailla trois ans entiers dans la brasserie, jusqu’à ce que le duc Maurice, mis en possession de l’électorat de Saxe, rétablit l’université de Wittemberg, et les appoin-

  1. (*) Peuc., Ep. ad Vit. Theo. Hosp. p. 2, f. 193 et seq.
  2. (*) Mel., lib. IV, ep. 315.
  3. (*) Lib. IV, 255.
  4. (*) L’an 1597.
  1. M. de Meaux, Histoire des Variations liv. V, num. 16.
  2. Il fallait dire Bretten.
  3. Pierre de Saint-Romuald, Abrégé chron., tom. III, pag. m. 328, à l’ann. 1560.
  4. Il fallait dire soixante trois jours.
  5. Il n’en avait que deux.