Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T10.djvu/406

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
396
MEMNON.

M. Chevreau assure [a], que Memnon, général d’armée dont il est parlé à la fin du deuxième livre de l’expédition de Cyrus, par Xénophon, était fourbe, avare, ambitieux, médisant et imposteur. Il décrit le caractère de ce scélérat ; mais il eût dû prendre garde que Xénophon l’appelle Ménon, et non pas Memnon.

  1. Chevræana, IIe. part. pag. 55 édit. de Hollande.

(A) Son dessein était de porter la guerre dans la Macédoine. ] C’est ainsi que les Romains en usèrent, pour contraindre le redoutable Annibal d’abandonner l’Italie : ils envoyèrent une belle armée dans l’Afrique sous la conduite de Scipion. Carthage en fut alarmée, et rappela Annibal. Cette sorte de diversion a été cent fois pratiquée utilement. Memnon qui la voulut employer, imagina le plus sûr expédient qui se pût prendre, pour soutenir les affaires de la Perse. Il comprit qu’on ne déciderait rien contre les forces macédoniennes, pendant qu’on ne se battrait que dans l’Asie : ce ne seraient que des coups fourrés, on lèverait des siéges, et l’on en ferait lever. Dès le commencement de la guerre il avait attaqué Cyzique, et n’avait pu s’en rendre maître [1] ; mais peu après il contraignit Parménion à lever le siége de Pitane [2]. Ces petits événemens de compensation ne servent qu’à perpétuer la guerre. Lors donc qu’on délibéra sur le parti qu’il fallait prendre contre le roi de Macédoine, qui, ayant passé l’Hellespont, s’avançait le plus qu’il pouvait vers les provinces du roi de Perse, son avis fut qu’on ruinât toutes les frontières, et qu’on embarquât toutes les troupes, afin de les transporter dans la Macédoine. Par ce moyen on établirait dans l’Europe le théâtre de la guerre : l’Asie serait en paix ; l’ennemi, ne trouvant point de quoi subsister dans un pays où l’on aurait fait le dégât, serait contraint de reculer, et puis de repasser en Europe pour secourir son royaume. C’était sans doute le plus sûr parti que les Perses pussent choisir : mais les autres généraux ne goûtèrent pas ce conseil : ils ne le trouvèrent pas digne de la grandeur de leur monarque, ils conclurent qu’il fallait donner bataille. Persarum duces.... quam bellicontrà Alexandrum gerendi inirent rationem ; congressi deliberârant. Memnon ibi Rhodius, imperatoriis artibus perquàm celebris, ne collatis signis dimicarent, sed agris longè latèque pervastatis ; necessariorum inopiâ ulterius progrediendi facultatem Macedonibus intercluderent, navalibusque simul et terrestribus copiis in Macedoniam deportatis, totam belli molem in Europam transferrent, censebat. Etiamsi verò consilium hujus viri optimum erat (ut eventus posteà docuit) reliquorum tamen ducum assensionem impetrare nequivit, ac si consuleret ea quæ magnitudini animorum in Persis neutiquàm convenirent. Quare cum sententia de conflictu cum hostibus ineundo pervicisset, accitis undique copiis, etc. [3]. Le satrape de Phrygie déclara qu’il ne souffrirait jamais que l’on mît le feu à la plus petite métairie de son gouvernement [4]. Arsanes fut plus sage quelque temps après ; car il pratiqua dans la Cilicie ce que Memnon avait conseillé [5]. Chose étrange que la guerre ! Le parti le plus charitable que l’on y puisse prendre est bien souvent de mettre le feu à de grandes villes, et de brûler tout dans plusieurs provinces : car sans cela on perdrait tout le royaume : la pitié que l’on aurait pour l’un des membres serait une cruauté pour tout le corps [6]. C’est donc la pitié pour le tout qui inspire la cruauté pour une partie. Malheureuse nécessité ! Funeste maxime, quand on la transporte dans les affai-

  1. Diodor. Siculus, lib. XVII, cap. VII.
  2. Idem, ibidem.
  3. Diodor. Siculus, lib. XVII, cap. XVIII, pag. m. 826, 887.
  4. Arsites Phrygiæ satrapa ne unum quidem tugurium eorum qui sibi subessent incendi se passurum adfirmaverat inque ejus sententiam à ceteris itum erat. Freinshem., Suplem. ad Curtium, lib. II, cap. V, num. 10 : il cite Arrian. 1, 4, 20.
  5. Q. Curtius, lib. III, cap. LV.
  6. Voyez, dans les Supplémens de Freinshémius sur Q. Curce. liv. II, chap. IV, les raisons sur quoi Memnon appuie son sentiment.