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MÉZIRIAC.

les gens qui n’aiment pas à se faire honneur de ce qu’ils savent, et qui ne sont point animés par l’espérance de la gloire ? Ôtez cette espérance, vous refroidissez les plus ardens, vous redoublez la paresse de ceux qui craignent une application pénible. Il ne faut point douter que l’une des principales raisons qui ont fait tomber l’étude des belles-lettres, ne consiste en ce que plusieurs beaux-esprits prétendus ou véritables ont introduit la coutume de condamner comme une science de collége, et comme une crasse pédanterie, les citations de passages grecs, et les remarques d’érudition. Ils ont été assez injustes pour envelopper dans leurs railleries les écrivains qui avaient de la politesse, et de la science du monde : Costar, par exemple. Qui aurait osé aspirer après cela à la gloire du bel-esprit en se parant de ses lectures et de ses remarques de critique ? Si l’on s’était contenté de condamner ceux qui citent mal à propos les Platon et les Aristote, les Hippocrate et les Varron, pour prouver une pensée commune à tous les siècles et à toutes les nations [1], on n’aurait pas découragé tant de gens ; mais avec des airs dédaigneux on a relégué hors du beau monde, et dans les colléges, quiconque osait témoigner qu’il avait fait des recueils : on s’est moqué des Costar, et des lettres mêmes de Voiture qui étaient parsemées de latin. L’effet de cette censure a été d’autant plus grand, qu’elle se pouvait couvrir d’un très-beau prétexte, c’était de dire qu’il faut travailler à polir l’esprit, et à former le jugement, et non pas à entasser dans sa mémoire ce que les autres ont dit. Plus cette maxime est véritable, plus a-t-elle flatté les esprits superficiels et paresseux, et les a poussés à tourner en ridicule l’étalage d’érudition. Leur principal motif, peut-être, était d’avilir le bien d’autrui afin d’augmenter le prix du leur ; car si on leur disait, vous condamnez cet auteur qui cite et du grec et du latin ; en feriez-vous bien autant, mettez la main sur votre conscience, le blameriez-vous si vous vous sentiez en état de l’imiter ? Il y a beaucoup d’apparence qu’on mettrait bien à l’épreuve leur sincérité. Mais abrégeons cette digression, et disons que les choses en sont venues à un tel point, que les Nouvelles de la République des Lettres du mois dernier [2] nous apprennent que le libraire de Paris, qui veut imprimer la version d’Homère, faite par madame Dacier, ne veut point y joindre l’original. Il appréhende sans doute que la vue des caractères grecs n’épouvante les lecteurs, et ne les dégoûte d’acheter le livre. Considérez, je vous prie, ce qui a été écrit de Paris à M. Bernard, et qu’il a inséré dans ses Nouvelles du mois d’octobre dernier. La Télémacomanie est un livre plein d’esprit et de feu [3]. Il est divisé en deux parties : l’auteur [4] montre dans la première, que l’église a eu toujours de l’aversion pour les romans. La seconde partie est beaucoup plus longue que la première, mais elle est plus ennuyeuse, parce que l’auteur s’applique uniquement à faire voir les anachronismes et les fautes contre l’histoire et contre la fable, qui sont dans le Télémaque [5]. Jugez par-là du goût dominant, et concluez que le Commentaire sur Apollodore serait sifflé à Paris. Les libraires savent bien cela : ils ne l’imprimeront point. C’est un ouvrage où il y a trop d’érudition.

(D) On se trompe quand on assure qu’il n’avait guère que quarante-cinq ans lorsqu’il mourut. ] On ne lui donne que cet âge-là dans l’Histoire de l’Académie française. D’autres disent qu’il vécut quarante-sept ans [6]. Mais il est sûr qu’il ne mourut pas si jeune ; car son père, qui l’avait eu de son premier mariage, se re-

  1. Hérille, soit qu’il parle, soit qu’il harangue ou qu’il écrive, veut citer : il fait dire au prince des philosophes, que le vin enivre, et à l’orateur romain, que l’eau le tempère : s’il se jette dans la morale, ce n’est pas lui, c’est le divin Platon qui assure que la vertu est aimable, le vice odieux, ou que l’un et l’autre se tournent en habitude : les choses les plus communes, les triviales, et qu’il est même capable de penser, il veut les devoir aux anciens, aux Latins, aux Grecs. La Bruyère, là même, pag. 525.
  2. Bernard, Nouvelles de la République des Lettres, novembre 1700, pag. 586, 587.
  3. Là même, Nouvelles du mois d’octobre 1700, pag. 385.
  4. C’est-à-dire, l’abbé Faydit.
  5. Nouvelles de la République des Lettres, octobre 1700, pag. 389, 390.
  6. Baillet, Jugem. sur les Poëtes, num. 1432.