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MICRÆLIUS.

il la garda jusques à ce qu’elle fut rendue par la paix, en 1696. On pourrait croire que par méprise, M. Hartnac a dit Suze au lieu de Coni. J’y consens ; mais, 3o. je remarque que le siége de Coni fut levé en 1691, et non pas en 1693. Je remarque, 4o., que M. de Catinat n’y était point en personne ; 5o. que le prince Eugène ne força point les lignes des assiégeans ; il ne les attaqua pas même. M. de Dulonde, qui commandait les assiégeans, se retira d’ouïe, et sans aucune nécessité à ce que crurent les Français : aussi fut-il arrêté, et disgrâcié[1]. Ainsi les phrases de l’historien, ab obsidione..…. fortiter, repulit Marchionem de Catinat, sont trompeuses, puisqu’elles portent à croire que M. de Catinat en personne leva le siége après avoir été bien battu. Un historien exact choisit toujours ses paroles avec tant de soin, qu’il ne donne pas à deviner à ses lecteurs si les assiégeans se retirèrent d’eux-mêmes, ou s’ils attendirent qu’on les attaquât. 6o. Il ne fallait point supprimer la circonstance que le fort de Sainte-Brigitte fut assiégé dans les formes, et que les Français s’y défendirent plusieurs jours, et se retirèrent ensuite dans Pignerol. 7o. Il ne fallait point se borner au bombardement, ni dire que les bombes désolèrent cette place, vastavit. La bonne foi exigeait qu’on insinuât que les alliés l’assiégèrent, et qu’ils ne purent la prendre, et que leur bombardement n’y fit pas grand mal[2]. 8o. La bonne foi ne saurait permettre que la bataille de la Marsaglia soit comptée parmi celles dont le succès est ambigu. Les écrivains Anti-Français reconnaissent, bon gré mal gré qu’ils en aient, que le maréchal de Catinat gagna celle-là[3]. M. Hartnac fait le même aveu dans d’autres endroits de son livre, et cela en reconnaissant la levée du siége de Pignerol[4]. 9o. Il est faux que M. de Catinat ait été forcé par les alliés à retourner au delà des Alpes : c’est donc une expression fort impropre que finibus excedere coegit. Ils ne purent l’empêcher de séjourner dans le Piémont, et d’y consommer les fourrages autant de temps qu’il jugea à propos ; et il n’en sortit que par les ordres du roi son maître[5].

Il est aisé de voir après tout cela, que j’aurais pu dire, non-seulement que M. Hartnac omet quelques circonstances essentielles, mais aussi qu’il en substitue de fausses qui changent l’espèce du fait. Il a commis cette faute bien sensiblement lorsqu’il a parlé de la prise de Valenciennes ; car non content de n’avoir point dit que cette place fut emportée d’assaut le 8e. jour du siége, il a dit que les Français s’en rendirent maîtres par trahison[6]. Si je voulais marquer toutes les méprises semblables à celle qui suit, j’aurais à faire un long catalogue. Il assure que Jean Barth, ayant battu la flotte des Hollandais, l’an 1694, trouva une grande quantité de blé dans les vaisseaux qu’il leur prit[7]. Voilà une circonstance fausse substituée à la suppression d’une véritable. Il fallait dire que Jean Barth servait d’escorte à plusieurs navires chargés de blé, et qu’ayant battu les vaisseaux de guerre des Hollandais, il sauva le blé qu’il menait en France[8].

Je dis en troisième lieu, qu’il n’observe pas toujours l’ordre du temps : il transpose quelquefois, il anticipe, il confond les dates. En voici quelques exemples. Il assure que Louis XIV ayant pris Grave au mois de juillet 1672, assiégea et subjugua Maestricht, ravagea le pays de Trèves, s’y empara des villes, et se rendit maître de la principauté d’Orange, et de la comté de Bourgogne ; mais que la ville de Groningue se défendit vigoureusement contre l’évêque de Munster[9]. Chacun voit que c’est con-

  1. Voyez la Vie du prince Eugène, imprimée à la Haye, 1702, pag. 109 et suiv.
  2. Voyez la Vie du Prince Eugène, p. 180 et suiv.
  3. Voyez la même Vie, pag. 300.
  4. Sabaudi anno 1692 (il fallait dire 1693) à Pignaroli obsessione rejecti, iterumque fœderati illorum propè Marsigliam gravi clade mulctati sunt. Harinacc., Syntagma Hist. Polit., tom. II, pag. 54. Voyez aussi pag. 134.
  5. Voyez la Vie du prince Eugène, pag. 205, 206.
  6. Valentinianam proditione ceperunt. Ibid., pag. 137.
  7. Per Johannem Barthium quoque Batavorum naves, numero licet superiores profligat (Rex Galliæ) eque captis magnam frumenti copiam aufert. Ibidem, pag. 134.
  8. Voyez les Fastes du père du Londel, sous le 29 de juin 1694.
  9. Hartnaccius, tom. II, pag. 130, 131.