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MILLETIÈRE.

fondre les temps. Maestricht ne fut subjugué qu’en 1673, et la Franche-Comté ne fut conquise qu’en 1674. Or la prise de Grave et la résistance de Groningue appartiennent à l’an 1672. Notre auteur ajoute que la France reçut un très-grand échec par la perte de Philisbourg, et par celle du maréchal de Turenne, et que néanmoins après cela elle mit en cendres Haguenau, et bien d’autres villes, et prit Condé et Bouchain. Notez que M. de Turenne fut tué l’an 1675, et Philisbourg tomba au pouvoir des Allemands au mois de septembre 1676, et que Condé et Bonchain furent subjugués au printemps de 1676, et qu’Haguenau était une ville que les Français faisaient servir de rempart [1]. Ils n’avaient garde de la brûler. Rapportons encore deux exemples. Il dit qu’en 1689, le duc de Noailles prit Campredon en Catalogne [2], et que M. de Bouflers, ayant presque ruiné Kocheim, emporta enfin Mayence [3]. Tout le monde sait que Mayence, sans avoir été aucunement attaquée, reçut garnison française au mois d’octobre 1688, et que Kocheim fut emporté par le marquis de Bouflers le 26 d’août 1689, et que les Français perdirent Mayence après un long siége, le 8 de septembre 1689 [4]. Le dernier exemple contient une faute de géographie. M. Hartnac raconte qu’au mois de septembre 1688, les Français, sous la conduite de M. le Dauphin, étant entrés dans les états de son A. Électorale Palatine par le Fort-Louis, bâti sur une île du Rhin, prirent Neustad et Keisersluthern, et puis Spire et Worms [5]. Chacun voit que la prise de ces places a dû précéder le passage du Rhin, et qu’en tout cas ce n’est point par le Fort-Louis que l’on doit passer pour se saisir de Neustad.

Il est sûr qu’afin de ranger les choses selon leurs dates, il ne suffit pas d’être muni de bonnes Tables Chronologiques, il faut même consulter un très-bon journal ; et c’est en cela que les gazettes peuvent être utiles. On rendrait un grand service aux compilateurs de l’histoire, si l’on publiait des fastes tels que ceux de du Londel [6].

  1. Montécuculli l’avait assiégée, l’an 1675.
  2. Hartnaccius, tom. II, pag. 133.
  3. Kecheimium graviter affligit, Moguntiam denique expugnat. Ibidem.
  4. Voyez M. Hartnac lui-même, au tom. I, pag. 561, 562.
  5. Tom. I, pag. 561.
  6. Voyez les Nouvelles de la République des Lettres, février 1699, pag. 223.

MILLETIÈRE (Théophile Brachet sieur de la) s’acquit une réputation beaucoup plus grande que bonne [* 1], pour s’être mêlé d’affaires de religion, et avoir tâché d’accorder en France les catholiques et les protestans. L’un de ses antagonistes l’a dépeint de la manière suivante [a] : Qu’après avoir étudié superficiellement en droit à Heidelberg, il fut reçu avocat ; qu’il devint si amoureux de la fille d’un procureur, qu’il en tomba dangereusement malade, et qu’il ne voulut ni ne put guérir qu’en l’épousant ; qu’il espéra de trouver des causes par le moyen de son beau-père, et que cela fit qu’il s’attacha au barreau ; mais qu’étant demeuré court dans un plaidoyer [b], il se dégoûta de la pratique du droit, et s’érigea en théologien ; qu’on l’entendait disputer sur les matières de religion dans le palais, où il se trouvait encore comme avocat écoutant ; qu’il y crachait de l’hébreu ; qu’il

  1. * Leclerc a consacré 60 pages de sa Lettre critique à la défense de Milletière. Dans ses remarques de 1734, il renvoie à sa Lettre critique : mais emporté par la soif de critiquer Bayle, il lui reproche jusqu’à l’anecdote rapportée dans la remarque critique de l’article Garissoles, tom. VII, remarque critique qui n’est pourtant pas de Bayle. Joly, qui a copié toutes les remarques de Leclerc, le cite dans une note. Nicéron a donné un article à la Milletière dans le 41e volume de ses Mémoires.
  1. Samuel Marésius, in Antichristo revelato, lib. II, cap. ult., pag. 562 et seq.
  2. Cùm obmutuisset in frequenti senatu Idem, ibid.