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MILTON.

dant que les magistrats travaillaient avec ardeur pour la liberté civile. Qu’ayant considéré que la liberté domestique se rapportait à trois choses, au mariage, à l’éducation des enfans et au droit de philosopher sans contrainte, il écrivit sur le divorce (C), et fit voir que l’Évangile n’avait point changé les lois sous lesquelles les Juifs avaient vécu à cet égard ; et que ce serait en vain que l’on crierait, liberté ! liberté ! dans les assemblées publiques : si l’on était dans sa maison l’esclave d’un sexe inférieur au nôtre. Qu’ensuite il écrivit sur l’éducation des enfans, et enfin sur la liberté des imprimeries, afin d’empêcher qu’un petit nombre de gens malhabiles, et presque toujours résolus à supprimer tout ce qui n’est pas du goût populaire, ne décident en dernier ressort de ce qui doit, ou qui ne doit pas sortir de dessous la presse. Qu’après la sentence de mort rendue contre le roi Charles Ier., il écrivit sur la thèse générale du droit des peuples contres les tyrans (D), et fit un recueil des sentimens de plusieurs graves théologiens là-dessus, pour faire taire ceux qui disaient que la doctrine des églises protestantes était contraire à ce qui s’était passé depuis peu à Londres. Qu’après cela, comme il travaillait à l’histoire de sa nation (E), le conseil d’état, qui venait d’être établi par l’autorité du parlement, voulut se servir de sa plume, et lui donna ordre de réfuter l’Icon regia, qui courait sous le nom du roi défunt. Qu’il intitula sa réfutation Iconoclastes [a]. Qu’ayant été choisi peu après pour réfuter un ouvrage que Saumaise avait publié contre le parlement d’Angleterre, il s’engagea à ce travail quoiqu’il eût presque perdu un œil [b], et que les médecins lui prédissent comme certaine la perte de l’autre, s’il s’y engageait [c]. Voilà ce qu’il nous dit de lui-même : ajoutons-y qu’il devint en effet aveugle vers ce temps-là ; et que sa réponse au livre de M. de Saumaise fit parler de lui par tout le monde [d] (F). Il répondit quelque temps après à un livre intitulé : Regit sanguinis Clamor ad cælum, qu’il attribua à M. Morus, quoique ce fût Pierre Dumoulin le fils qui l’eût composé. Comme cette réponse diffamait M. Morus horriblement ; celui-ci ne voulut point demeurer sans répartie ; mais Milton lui fit une seconde réponse aussi sanglante que la première. Il vécut fort à son aise sous l’usurpation de Cromwel ; et par un bonheur tout-à-fait extraordinaire, il ne fut point inquiété ni recherché après le rétablissement de Charles II. On le laissa tranquille dans son logis, quoique jamais écrivain n’eût porté l’insulte contre les têtes couronnées, plus avant qu’il avait fait contre le roi Charles Ier., et contre sa famille exilée. Son impunité ne vint point de la débonnaireté de Charles II : mais de ce qu’il ne se trouva point excepté de l’amnistie générale. On imprima à Londres, en 1674,

  1. J’en ai la version française, faite sur la 2e. édition anglaise, et imprimée à Londres, l’an 1652.
  2. Defens. II pro Populo angl. pag. 35.
  3. Voyez la remarque (A).
  4. Defens. I pro Populo angl. pag. 95.