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MACON.

massacres, qu’autels renversés, qu’assassinats, que parjures, que fureurs. La bonne intelligence eût été moins digne d’admiration, si tous les particuliers eussent ignoré ce que les histoires de chaque parti reprochent à l’autre. Ne peut-on pas donc me dire qu’il semble que j’aie dessein de réveiller les passions, et d’entretenir le feu de la haine, en répandant par-ci par-là, dans mon ouvrage, les faits les plus atroces dont l’histoire du XVIe. siècle fasse mention : siècle abominable [1], et auprès duquel la génération présente pourrait passer jour un siècle d’or, quelque éloignée qu’elle soit de la véritable vertu ? Il est juste que je satisfasse à cette difficulté. Je dis donc que tant s’en faut que j’aie dessein d’exciter dans l’esprit de mes lecteurs les tempêtes de la colère, que je consentirais volontiers que personne ne se souvînt jamais de cette espèce d’événement, si cela pouvait être cause que chacun étudiât mieux, et remplît mieux ses devoirs dans le silence de ses passions ; mais comme ces choses sont répandues dans un trop grand nombre d’ouvrages pour espérer que l’affectation de n’en rien dire dans celui-ci pût apporter aucun bien, je n’ai point voulu me contraindre, et j’ai cru que je devais prendre librement tout ce que je trouverais sur ma route, et me laisser conduire par la liaison qui serait entre les matières. Mais je ne dois pas oublier que, comme toutes choses ont deux faces, on peut souhaiter, pour de très-bonnes raisons, que la mémoire de tous ces effroyables désordres soit conservée soigneusement. Trois sortes de gens auraient besoin d’y jeter chaque jour la vue, et de s’en faire un songez-y bien. Ceux qui gouvernent se devraient faire dire tous les matins par un page : Ne tourmentez personne sur ses opinions de religion, et n’étendez pas le droit du glaive sur la conscience. Voyez ce que Charles IX et son successeur y gagnèrent ; c’est un vrai miracle que la monarchie française n’ait point péri pour leur catholicité. Il n’arrivera pas tous les jours de tels miracles, ne vous y fiez point. On ne voulut pas laisser en repos l’édit de janvier, et il fallut, après plus de trente ans de désolation, après mille et mille torrens de sang répandus. mille et mille perfidies et incendies, en accorder un plus favorable. Ceux qui conduisent les affaires ecclésiastiques sont la seconde espèce de gens qui doivent se bien souvenir du XVIe. siècle. Quand on leur parle de tolérance, ils croient ouïr le plus affreux et le plus monstrueux de tous les dogmes ; et afin d’intéresser dans leurs passions le bras séculier, ils crient que c’est ôter aux magistrats le plus beau fleuron de leur couronne, que de ne leur pas permettre pour le moins d’emprisonner et de bannir les hérétiques. Mais s’ils examinaient bien ce que l’on peut craindre d’une guerre de religion, ils seraient plus modérés. Vous ne voulez pas, leur peut-on dire, que cette secte prie Dieu à sa mode, ni qu’elle prêche ses sentimens ; mais prenez garde, si l’on en vient aux épées tirées, qu’au lieu de parler et d’écrire contre vos dogmes, elle ne renverse vos temples, et ne mette vos propres personnes en danger. Que gagnâtes-vous en France et en Hollande, en conseillant la persécution ? Ne vous fiez point à votre grand nombre. Vos souverains ont des voisins, et par conséquent vos sectaires ne manqueront ni de protecteurs, ni d’assistance, fussent-ils Turcs. Enfin, que ces théologiens remuans, qui prennent tant de plaisir à innover, jettent continuellement la vue sur les guerres de religion du XVIe. siècle. Les réformateurs en furent la cause innocente ; nulle considération ne devait les arrêter, puisque, selon leurs principes, il n’y avait point de milieu, il fallait ou laisser damner éternellement tous les papistes, ou les convertir au protestantisme. Mais que des gens qui sont persuadés qu’une erreur ne damne pas ne respectent point la possession, et qu’ils aiment mieux troubler le repos public, que supprimer leurs idées particulières, c’est ce qu’on ne peut assez détester. Qu’ils considèrent donc les suites de leurs nouveautés, et de l’action qu’ils intentent à l’usage ; et s’ils peuvent s’y embarquer sans une absolue nécessité, il faut qu’ils aient une âme de tigre, et plus

  1. Conférez ce que dessus, à la fin de la remarque (F) de l’article Lognac, tom. IX, pag. 301.