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MILTON.

ut nescio cui lectorem remitterem, sic mendaciorum et convitiorum amore flagrant homines ; volumine in decimo sexto perditissimi pretii, usus sum [1].

(G) Il aimait la poésie. ] M. de Saumaise ayant dit [2], que des gens, qui connaissaient Milton à fond, soutenaient fort sérieusement qu’il ne savait pas le latin, qu’il n’était point capable d’écrire en latin, ajoute que pour lui il est d’un tout autre sentiment, et que Milton étant poëte, peut bien être aussi orateur. Là-dessus il se moque de ses poésies : il dit que les lois de la quantité y ont été violées ; il le prouve par des exemples ; et il conclut que, quand même cet auteur n’y eût pas marqué à quel âge il les avait composées, on n’eût pas laissé de sentir que c’était l’ouvrage d’un écolier. Mais Milton est responsable de ces fautes de jeunesse, poursuit-il, puisqu’il les a fait imprimer depuis peu d’années à Londres. Par la IIe. lettre de Milton, il paraît qu’il fit imprimer des vers latins en l’année 1628, et par la Xe., qui est datée du 21 d’avril 1647, qu’il avait publié depuis quelque temps un Recueil de Poésies Anglaises et Latines. Ce Recueil est de l’an 1645. Cela ne sentirait pas trop un homme désabusé des faux bruits qu’on lui apprenait concernant Milton, si l’on traitait à la rigueur M. de Saumaise. Il dit qu’au sentiment de beaucoup de sens, Milton n’avait point écrit l’Apologie du Peuple d’Angleterre, et qu’il n’avait fait que prêter son nom au livre d’un maître d’école français, qui enseignait des enfans à Londres [3]. C’étaient toutes fables que je suis bien aise de rapporter, afin de faire en sorte que les auteurs apprennent à n’ajouter point de foi aux médisances dont on leur remplit la tête contre leurs antagonistes. On croit faire sa cour par-là à un homme, et l’on est cause qu’il publie cent sottises. Je ne mets point dans cette classe les quatre mille livres de rente, gagnées par Milton à écrire pour le parlement, si l’on en croit M. de Saumaise [4] ; car il est très-vraisemblable que Cromwel le récompensa largement. Au reste, Milton a fait deux poëmes en vers non rimés ; l’un sur la tentation d’Ève, l’autre sur la tentation de Jésus-Christ. Le premier est intitulé le Paradis perdu ; le second a pour titre le Paradis recouvré. Le premier passe pour l’un des plus beaux ouvrages de poésie que l’on ait vus en anglais. Le fameux poëte Dryden en a tiré une pièce de théâtre, qui fut extrêmement applaudie. L’autre n’est pas si bon à beaucoup près ; ce qui fit dire à quelques railleurs, que l’on trouve bien Milton dans le Paradis perdu, mais non pas dans le Paradis recouvré. Ces poëmes ont été traduits en vers latins, et publiés, l’an 1690, par Guillaume Hog, Écossais.

Le même Dryden, admirant le poëme du Paradis perdu a jugé, que la Grèce, l’Italie et l’Angleterre ont produit trois poëtes en différens siècles ; Homère, Virgile, et Milton : que le premier excelle par la sublimité des pensées, et le second par la majesté ; et que la nature, ne pouvant aller au delà, avait formé le troisième par l’assemblage des perfections des deux autres. C’est le sujet d’une épigramme de M. Dryden [5] insérée par M. Toland à la page 129 de la Vie de Milton.

(H) Patin a débité beaucoup de mensonges. ] « Voilà M. de la Motte-le-Vayer, qui vient de sortir de céans, et qui m’y a apporté un de ses livres nouvellement fait, lequel m’a dit que le livre de Milton contre le feu roi d’Angleterre a été brûlé par la main du bourreau ; que Milton est prisonnier ; qu’il pourra bien être pendu ; que Milton n’avait fait ce livre qu’en anglais ; et qu’un nommé Pierre Dumoulin, fils de Pierre, ministre de Sedan, qui l’avait mis en beau latin, est en danger de sa vie [6]. » Prenez garde à la personne qui débita ces nouvelles à Guy Patin. Ce n’était pas un nouvelliste du Pont-Neuf, ou du troisième pilier de la grand’salle :

  1. In monito ad lectorem.
  2. Respons., pag. 4 et 5.
  3. Eam et multi negant illum auctorem debere agnoscere nisi solo titulo, conscriptam enim esse à ludi magistro quodam Gallo de trivio qui Londini pueros nihil sapere docet. Salmasii Resp. pag. 4.
  4. Ibidem, pag. 16.
  5. Elle est en anglais.
  6. Patin, lettre CLXXXVII, tom. II, pag. 135. Elle est datée du 13 juillet 1660.