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MILTON.

c’était le précepteur de Monsieur, c’était le Caton français, c’était un homme très-docte : il crut bonnement que Dumoulin courait risque de sa vie, pour avoir mis en latin l’écrit de Milton. Cependant ce Dumoulin était l’un des confesseurs du parti royal : il écrivit contre les rebelles, et sa fidélité fut récompensée promptement par Charles II.

(I) Il était né gentilhomme. ] Jean Milton, son père, issu de la famille des Miltons, considérable dans la province d’Oxford, était fils d’un catholique romain, et en fut déshérité parce qu’il s’était fait protestant, Christophle Milton, son autre fils, étudia en droit, et n’eut pas beaucoup d’esprit. Ce fut un homme superstitieux, et qui s’attacha au parti royal, et qu’on laissa néanmoins dans l’obscurité après que la famille royale fut rétablie. Mais le roi Jacques II, voulant faire déclarer par un corps de juges qu’il était au-dessus des constitutions du royaume, le créa sergent aux lois, et baron de l’échiquier, et puis juge des plaidoyers communs. Ces charges finirent bientôt après par la mort de celui qui les avait obtenues [1].

(K) Il devint précepteur de ses neveux et de... quelques autres écoliers. ] Voici le fondement de ce qu’on a vu ci-dessus [2]. J’avais cru que M. de Saumaise avait été mal servi par ses espions ; mais je sais présentement qu’il n’est coupable que d’avoir donné un tour odieux à la nouvelle qu’il débitait, que Milton avait été un petit maître d’école. M. Toland avoue que Milton, se voyant prié de rendre à quelques enfans de ses amis le même service qu’il rendait à ses neveux, c’est-à-dire de leur enseigner les langues, l’histoire, la géographie, etc., leur accorda cette faveur. Il est donc vrai qu’il tenait école dans son logis, et qu’encore que ce ne fût pas une régence de basse classe dans un collége, comme les expressions de son ennemi l’insinuaient, c’était au fond une véritable pédagogie, et une fonction de régent. Mais d’ailleurs ce n’était pas un juste sujet d’insulte, non pas même en supposant que la pauvreté l’eût réduit à s’assujettir à une peine si fatigante, pourvu qu’il s’en acquittât fidèlement et habilement. Consultez là-dessus son historien.

(L) Cette jeune femme ne tarda guères à se dégoûter de lui. ] On allègue plusieurs conjectures sur la cause de son prompt retour à la maison de son père. Elle y avait été élevée dans la pompe et dans les plaisirs, et apparemment cela fut cause qu’elle ne s’accommodait point d’un ménage philosophique tel que celui de Milton : peut-être aussi que la personne de son époux lui était désagréable, ou qu’étant d’une famille royaliste elle ne pouvait souffrir les principes républicains de Milton : et il n’est pas impossible que son père se fût proposé quelque avancement auprès du roi en rompant les nœuds de ce mariage. Quoi qu’il en soit, sa fille retourna chez lui un mois après la célébration des noces, sous prétexte d’aller passer à la campagne le reste de l’été. Son mari consentit à ce voyage sous condition qu’elle reviendrait à la fête de Saint-Michel : et parce qu’elle laissa passer ce terme sans revenir, il lui écrivit plusieurs lettres à quoi elle ne daigna répondre ; mais enfin elle déclara catégoriquement qu’elle ne reviendrait point, et renvoya avec mépris le messager de Milton. Celui-ci en fut tellement indigné, qu’il résolut de ne la reconnaître jamais pour son épouse ; et afin de faire voir au public la justice de ce dessein, il donna le jour à un ouvrage sur le divorce, l’an 1644. Les raisons qu’il y propose, pour prouver que les mariages ne doivent pas être indissolubles, semblent suspectes venant d’un homme intéressé en cette cause : mais son historien remarque que cela ne peut point les affaiblir ; car autrement il faudrait se laisser préoccuper contre les apologies des premiers chrétiens, vu qu’elles ont été composées par des personnes qui gémissaient sous la rigueur des persécutions. Il ajoute que, pour bien juger des commodités d’une région tempérée, il faut avoir passé une partie de sa vie dans des climats trop froids, ou trop chauds ; et que tout de même l’on ne peut jamais s’instruire plus exactement des rai-

  1. Tiré des extraits latins de la Vie de Milton, composée en anglais par M. Toland.
  2. Dans la remarque (E).