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MACRON.

après la mort de Séjan[a], et je pense que la politique eut plus de part à ce refus que la modestie. Il se chargea d’une commission odieuse dans l’instruction des procès que les délateurs faisaient aux gens ; car il présidait à la question qui était donnée pour découvrir les coupables, et pour avoir des témoignages. On envoyait ensuite au sénat les preuves qu’il avait recueillies par cette voie, et l’accusation des délateurs, de sorte qu’on ne laissait à la compagnie que le soin de prononcer la sentence[b]. Il y eut des temps où aucun des accusés ne fut absous, et quelques-uns même furent condamnés sans que l’on sût par les lettres de Tibère, et par les certificats de Macron, touchant les dépositions des torturés, en quoi consistait le crime : on ne suivait point d’autre règle que ce qui semblait conforme aux désirs de l’empereur et de son capitaine des gardes[c]. Chacun voit que Macron avec une telle conduite avait besoin de l’avis de Tibère ; car il avait tout à craindre sous un changement de gouvernement. Il sentit bien cela ; et de là vint qu’aussitôt qu’il eut réfléchi sur l’âge et sur les infirmités de cet empereur, il travailla à gagner les bonnes grâces de celui qui succéderait à l’empire. Il fit sa cour à Caligula ; et, pour mieux s’insinuer dans sa faveur, il se servit des cajoleries de sa femme Ennia (B). Il faisait en sorte qu’elle lui donnât de l’amour, et l’assurât de l’empire pourvu que ce jeune prince lui promît de l’épouser. Tibère n’ignora point cette trame, et s’ouvrit assez là-dessus par un reproche qu’il fit à Macron (C), et il voulut même renverser tout ce projet ; mais les difficultés qu’il y trouva l’engagèrent à laisser faire les destins[d]. Le médecin Chariclès ayant dit à Macron que Tibère ne passerait pas deux jours, on se hâta de préparer toutes choses dans l’intérêt de Caligula[e]. Dans ces entrefaites il courut un bruit que l’empereur était mort, et tout aussitôt Caligula se mit en marche pour aller prendre possession de l’empire. Il était environné de beaucoup de courtisans qui venaient en foule le féliciter. On entendit tout d’un coup que Tibère était revenu de la défaillance que l’on avait prise pour sa mort. Cette nouvelle consterna les courtisans de Caligula : ils s’écartèrent les uns d’un côté, les autres de l’autre, et dissimulèrent le mieux qu’ils purent. Quant à lui, il se crut perdu, et il attendait avec un profond silence sa dernière heure ; mais Macron sans s’étonner donna ordre qu’on étouffât Tibère, et que tout le monde se retirât[f]. Ni lui, ni sa femme, ne jouirent pas long-temps de la faveur qu’ils s’étaient promise sous le nouvel empereur qui leur était si obligé. Ils furent contraints l’un et l’autre de s’ôter la vie (D). Le mari avait obtenu un fort beau gouvernement[g] ;

  1. Idem, ibid., pag. 722.
  2. Idem, ibid., pag. 727.
  3. Idem, ibid., pag. 730.
  4. Voyez la remarque (C).
  5. Tacit., Annal., lib. VI, cap. I.
  6. Ex Tacito, ibid.
  7. Celuy d’Egypte. Voyez Dion, lib. LIX, pag. 743.