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MONTMAUR.

rius, prolato omni librorum instrumento, sedit illustriss. cancellarius tanquàm supremus judex, assidebant duo libellorum supplicum ex-magistri, consistoriani comites, aliquot abbates, et viri honesti complures utrimque : totam controversiam exposuit disertè et dilucidè heros ille maximus, laudatâ nonnihil etiam modestiâ meâ, tum jussit Mommorium ex libris, quorum jam copia fieret, suas authoritates petere. Ibi noster tergiversari, aliena concionari, verborum diverticula quærere, concesso semel quod petierat, mox aliud requirens, cas editiones parùm commodas causari, nec interim de sententiâ decedere, nec manus dare ; cùm urgeretur à cancellario, nihilominùs comperendinationem petere. Sesqui-horam fermè tenuit ea declinatio, donec pronuntiatum est, falsi manifestum esse, et solutâ risu concione, Bataviæ ex-legatus ad ignem, ex tempore hos vernaculos recitavit à se factos :

Montmaur, c’est fait de ta mémoire,
Tu bronches sous le vieux Bouchon ;
Tous les auteurs te font faux-bond,
Si tu n’as recours au grimoire [1].


La lettre de Nicolas Bourbon, d’où je tire ce récit, est datée du 3 de novembre 1637. La chose s’était passée cinq ou six jours auparavant [2]. Montmaur n’avait donc pas été chassé de l’hôtel de M. le chancelier, lorsque sa Vie fut écrite satiriquement par M. Ménage, l’an 1636 [3]. Il y a donc apparence que les paroles que je vais citer sont une pure fiction, ou qu’elles ne furent fondées que sur un faux bruit. Mamurram è convivio propter nescio quid infandum Magnus Nomophylax turpiter ejecit : quo infortunii genere acerbius homini parasito accidere nullum potest. Aristippum quidem Dionysius olim consputavit, ac postremus ut accumberet jussit : sed tamen ut accumberet jussit, nec cenâ, ut Mamurra, privatus est Aristippus [4]. M. Féramus, qui fit un poëme contre Montmaur, avant que M. Ménage publiât la Vie de Gargilius Mamurra [5], suppose en divers endroits que M. le chancelier avait interdit sa maison à ce professeur. Il exprime cela admirablement.

Sed plurimus hæret
Claras antè domos atque alta palatia magni
Seguerii, cùm fortunæ, sortisque recordans
(Quâ licuit quondam divinæ accumbere mensæ)
In vetitas audax irrumpere cogitat ædes.
Ah ! quoties votis precibusque, et supplice fletu
Admitti petiit. Sed inexorabilis ille
Janitor, Helvetiæ duris de rupibus ortus,
Arcet ab ingressu, prohibetque, et jussa minatur
Verbera, et offensi Domini pro crimine pœnas,
Intentans fustem, sumptamqne iratior hastam,
Ni cedat procul et retrò vestigia vertat [6]

(G) Si la fécondité de sa mémoire, si sa lecture, si sa présence d’esprit, ne l’eussent rendu recommandable. ] Voici ce que M. Ménage a été contraint d’avouer : Cùm felici adeò Mamurra esset memoriâ, ut legentis modò, cuncta quæ olim in libris didicerat, posset referre, memorem illum convivam Memmius non oderat [7]. Il y a quelque apparence que Montmaur se fit beaucoup d’ennemis par l’éclat de sa mémoire. Elle le faisait régner dans les compagnies, ou pour mieux dire elle l’y érigeait en tyran. Un homme qui peut débiter tout ce qu’il a lu, et qui se donne des airs de maître en faisant sortir de sa bouche, avec la dernière facilité, un torrent de science, étonne dans une conversation les autres savans. Ils paraissent petits comme des nains auprès de lui : ils ne peuvent l’empêcher de tenir le dé, et ils n’osent même l’entreprendre ; ils soupçonnent quelquefois qu’il se trompe, mais ils n’ont pas l’assurance de le contredire, ils se défient de leur mémoire, et ils redoutent la sienne dans les choses mêmes où il leur semble qu’il a tort. Nous avons vu ci-

  1. Nicolaus Borbonius Epistolâ V ad Claudium Memmium, Avauxium, pag. 471. Elle est à la fin du livre de Charles Ogier, intitulé Iter Danicum, Succicum, Polonicum, imprimé à Paris, 1656, in-8°.
  2. Dies erat Simoni et Judæ Apost. Sacer. Idem, ibid. pag. 473
  3. L’Épître dédicatoire de la Vie de Gargilius Mamurra est datée d’Angers, le 20 d’octobre 1636.
  4. Menagius, in Vitâ Gargil. Mamurræ, pag. 22.
  5. Cela paraît par l’Épître dédicatoire de la Vie de Mamurra.
  6. Miscellan. Menag. pag. 9 libri adoptivi Voyez aussi p. 16, et 19.
  7. Menag., in Vitâ Mamurræ, pag. 19. Conférez avec ceci le commencement du passage de Nicolas Bourbon, rapporté ci-dessus, citation (19).