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MOPSUS.

cette supposition entraîne après soi : je me contente de dire qu’il devait se souvenir que Mopsus perdit la vie en revenant de Colchos. Pamelius [1] prend pour l’Argonaute celui qui rendait des oracles dans la Cilicie. On verra bientôt un ou deux faux pas de Meursius. On distingue dans Calepin trois Mopsus : 1°. le devin, qui fonda la ville de Phasèle sur les confins de la Pamphilie ; 2°. Le Lapithe, fils d’Ampycus ; 3°. celui qui disputa contre Calchas.

(D) L’épithète nationale d’Argien lui a été donnée. ] M. de Valois [2] pour distinguer nos deux Mopsus, nomme le premier Lapitham [3], ou Thessalum, et le dernier Argivum. Or quand on considère que Tirésias était Thébain, et qu’on songe à la terrible et cruelle guerre que ceux d’Argos firent deux fois aux Thébains, pendant la vie de Tirésas, on ne voit guère qu’il ait eu un fils qui, pour son titre de distinction, ait porté le titre d’homme d’Argos. Si Manto a été prêtresse de Delphes, et qu’Apollon l’ait rendue mère de Mopsus, pourquoi ce Mopsus s’appellera-t-il Argien ? où pourquoi aura-t-il ce titre, s’il est né du mariage qu’elle contracta en Asie avec Rhacius ? On trouverait là-dedans moins de ténèbres, s’il était le fils qu’elle eut d’Alcméon [4]. Quoi qu’il en soit, Cicéron assure qu’il était roi d’Argos : Amphilochus et Mopsus Argivorum reges fuerunt, sed iidem augures : iique urbes in orâ maritimâ Ciliciæ græcas condidêre [5]. Si jamais le commentaire de Méziriac sur Apollodore voit le jour, ce que je souhaite beaucoup plus que je ne l’espère, on y apprendra bien des choses sur les deux Mopsus [6].

(E) On prétend qu’il fit crever Calchas..…. en disputant avec lui à qui mieux devinerait. ] Les continuateurs de Moréri ont fait plusieurs fautes en rapportant cette dispute. 1°. Ils ont représenté Mopsus comme l’agresseur, et ils ne devaient pas le faire, puisqu’il ne paraît comme tel dans aucune des différentes relations que Strabon a rapportées. 2°. Ils ne devaient point citer Hésiode, sans ajouter que c’est dans Strabon que l’on trouve ce qu’il a dit là-dessus. Cette addition est nécessaire toutes les fois qu’on cite un auteur dont l’ouvrage ne se trouve plus, et n’est connu que parce que d’autres le citent. 3°. Ils ne devaient point citer Hésiode en aucune façon, puisqu’ils ne rapportent pas comme lui la chose. Ils disent que Mopsus demanda à Cachas le nombre des figues ; mais Hésiode dit que ce fut Calchas qui le demanda à Mopsus. Ils ont sans doute été trompés par Charles Étienne [7], après MM. Lloyd et Hofman. 4°. Ils ne devaient point citer le premier livre de l’Iliade ; car il ne contient rien de ce qu’ils disent. Je suis moins surpris de tout cela que de l’étrange méprise de Meursius. Ce savant homme [8] a prétendu que Mopsus eut du dessous dans cette dispute, si l’on s’en rapporte à Sénèque le tragique. Seneca Mopsum inferiorem factum vult in Medeâ :

Omnibus verax, sibi falsus uni
Concidit Mopsus, caruitque Thebis
Ille qui verè cecinit futura.


Premièrement il ne s’agit point ici du Mopsus qui disputa contre Calchas, mais de Mopsus l’Argonaute. En second lieu, Sénèque n’a voulu dire sinon que Mopsus, avec toute son habileté prophétique, n’avait pas laissé de mourir dans l’expédition. Je rapportera tout le passage, puisque d’ailleurs il n’est pas exempt de fausseté.

Ite nunc, fortes, perarate Pontum
Sorte timendâ,
Idmonem, quamvis benè fata nôsset,
Condidit serpens Libycis arenis.

    tio generatione integrâ bellum Trojanum antecessit ; et Barthius in Statium, tom. II, pag. 818, qui tranche net que ille Argonautarum vates attingere minimè potuit tempora à reditu Trojæ. Calvisius soutient le contraire, ad ann. mundi 2727.

  1. In Tertull. de Animâ, cap. XLVI.
  2. In Ammian. Marcellin., lib. XIV, pag. 40 et 41.
  3. C’est l’épithète que Strabon lui donne.
  4. Voyez Apollodore, Biblioth., lib. III, pag. m. 200.
  5. Cicero de Divinat., lib. I, cap. XL.
  6. Voyez son Commentaire sur les Épîtres d’Ovide, pag. 911.
  7. Dolore contabuit, quòd propositâ sibi à Mopso caprifico (ut refert Hesiodus) aut (ut Pherecydes mavult) sue gravidâ, conjicere non potuisset, quot in illâ ficus essent, quotve hæc utero suculas gereret : quos tamen Mopsus sine ullo errore divinavit. Car. Steph. in voce Calchas, pag. m. 546.
  8. Comment. in Lycophron., pag. 205.