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MORGUES.

Omnibus verax, sibi falsus uni
Concidit Mopsus, caruitque Thebis
Ille qui verè cecinit futura.


Il y a là trois exemples de la triste destinée des plus grands devins. Le dernier est celui de Tirésias, qui mourut fugitif de Thèbes : le premier est celui d’Idmon, qui fut tué en Afrique par un serpent ; l’autre est celui de Mopsus, dont Sénèque se contente de dire d’une façon vague qu’il périt. En cela il prend l’un pour l’autre : il attribue à Idmon ce qui ne lui convient pas ; car c’est Mopsus qui fut tué en Afrique par un serpent. Outre Apollonius que j’ai cité, voici comme Hygin en parle [1]. Mopsus Ampyci filius ab serpentis morsu in Africâ obiit. Je n’ignore pas les contorsions que l’on donne à ce passage, et les différentes manières de le ponctuer que les critiques ont imaginées. Rhodiginus [2] se félicita sans doute beaucoup d’avoir mis un point après condidit, et d’avoir pris serpens pour un participe. Mais je ne crois pas qu’aujourd’hui aucun homme de bon goût trouve cela plus vraisemblable, que de dire que le poëte latin s’est trompé. Ne voyons-nous pas les plus habiles historiens confondre des faits peu éloignés de leur temps, et aussi illustres que le pouvait être dans l’imagination d’un poëte tragique la mort d’un devin d’armée ? Grutérus [3] qui rapporte à Mopsus le caruit Thebis, songeait-il bien que Mopsus était Lapithe ? Il change je ne sais combien de prétérits en futurs : il veut que Sénèque ait pêché contre l’histoire ; mais non pas que la tentation d’entasser plusieurs grands exemples de moralité dans un chorus, l’ait fait recourir à l’asile de la prolepse, ou ait confondu sa chronologie. Je puis bien dire présentement que les paroles de Sénèque ne prouvent point ce à quoi M. de Valois les emploie, je veux dire la mort de Mopsus en Afrique. Les passages qu’il rapporte de Tertullien et d’Apulée, prouvent seulement que Mopsus était honoré comme un Dieu en ce pays-là ; mais il faudrait trouver dans un auteur quelque chose de plus précis, pour pouvoir le prendre à témoin du décès d’un homme en tel ou tel lieu.

(F) Une autre espèce de contestation fit périr Mopsus. ] Ceci ne regardant point Calchas, je puis dire que le traducteur de Strabon n’a pas bien rendu ces paroles, οὐ μόνον δὲ τὴν περὶ τῆς μαντικῆς ἔριν μεμυθεύκασιν, ἀλλὰ καὶ τῆς ἀρχῆς, neque de divinatione duntaxat eos contendisse fabulantur, sed etiam de imperio [4]. Cet eos se rapporte nécessairement à Calchas et à Mopsus ; il faut donc s’attendre à les voir disputer du commandement : néanmoins on ne trouve point cela dans la suite ; c’est Mopsus et Amphilochus qui se querellent. Strabon s’est exprimé d’une manière à n’avoir aucune part à cette petite censure.

  1. Fabulâ XIV, pag. m. 46, 47.
  2. Antiq. Lect., lib. XXIX, cap. XV.
  3. Apud Senecam Scriverii, pag. 237.
  4. Strabo, lib. XIV, pag. 464.

MORGUES (Matthieu de), sieur de Saint-Germain, prédicateur ordinaire de Louis XIII, et premier aumônier de Marie de Médicis, mère de ce monarque, fit extrêmement parler de lui par quantité de libelles qu’il publia contre le cardinal de Richelieu. Il naquit dans le Vélay au Languedoc [a], et d’une famille qui avait été louée par Louis Pulci, précepteur de Léon X [b]. Il se fit jésuite, et il régenta quelques classes dans Avignon, au collége de la société [c]. Il abandonna cette profession quelque temps après ; et sautant adroitement les murailles de ce collége [d], il capitula en liberté, et accommoda cette affaire le mieux qu’il put (A). Il employa pour sa justification une manière de dilemme qui fut rétorquée con-

  1. Matthieu de Morgues. Lettre de Change protestée, pag. m. 946.
  2. Là-même, pag. 947.
  3. Première Lettre de Change de Sabin à Nicocléon, à la page 711 des pièces pour servir à l’Histoire, édition de 1643, in-4°.
  4. Là-même, pag. 713.