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MORIN.

témoigna qu’elle le prenait pour l’astrologue le plus éclairé qui fût au monde [1]. C’est une marque qu’elle lui avait donné à faire des horoscopes, ou qu’elle avait pris la peine d’étudier ceux qu’il avait composés. J’observe que la méprise de six jours touchant la mort de Louis-le-Juste ne semble rien quand on ne la considère que d’une vue générale ; mais quand on sait les circonstances que Gassendi en a racontées, on ne peut s’empêcher de dire que c’est l’une des plus grandes mortifications qu’un astrologue puisse recevoir.

Gassendi raconte que Morin lui rendit une visite le 29 d’avril 1643, et lui dit : Je me souviens que vous m’avouâtes il y a cinq ou six mois que si je pouvais vous marquer le jour que mourrait un grand personnage sur l’horoscope duquel je m’étais fort occupé, et qui avait alors une grande maladie, vous prendriez cela pour une preuve très-notable et de ma capacité et de l’excellence de mon art. Je viens vous apprendre que le roi mourra le 8 de mai prochain. Gassendi n’a pas oublié de remarquer que Morin ne lui avait fait aucune réponse touchant ce grand personnage qui était si malade [2], et qui était mort depuis. Il remarque aussi qu’à la fin d’avril 1643, les médecins assuraient que le roi Louis XIII mourrait bientôt ; mais quant au jour de sa mort, il y avait entre eux quelque sorte de variété. Morin déclara à Gassendi que le 3 de mai serait extrêmement périlleux à ce monarque, qui pourtant traînerait encore cinq jours et non davantage. Gassendi, sans s’arrêter à la considération que ce pronostic se faisait lorsqu’on m’avait plus d’espérance de la guérison du roi, attendit l’issue comme quelque chose qui pouvait être de conséquence par rapport à l’astrologie, vu qu’il n’avait aucun lieu de soupçonner que les présages que la médecine fournit, servissent de fondement à la prédiction de Morin, et qu’il savait que cet astrologue avait étudié le thème natal de Louis XIII avec une intimité de soins, et s’était vanté d’avoir découvert par là le jour des aventures particulières de ce monarque pendant tout le cours de sa vie. Si son art devait réussir, c’était donc principalement par rapport au dernier jour de la vie de ce roi. Et notez que l’on écrivit à Gassendi que Morin avait dit à d’autres gens que, par les règles de l’astrologie, le roi courait risque de finir non seulement le 8e. jour de mai, et dans les jours précédens, mais aussi le 16 et le 17 du même mois. Il ne disait rien du 14, qui fut pourtant le dernier de ce monarque [3]. On voit donc manifestement que sa prétendue science était abusive, et que l’erreur de six jours est ici un coup décisif.

(G) Il ne fut pas heureux dans ses prédictions concernant un secrétaire d’état.... fort dépendant de ses oracles astrologiques. ] Je parle du comte de Chavigny. On va voir sa crédulité pour l’astrologie. Ayant résolu d’aller en Provence l’an 1646, il voulut avoir avec lui notre Morin ; mais comme cet astrologue ne faisait rien sans l’avis des astres, il ne voulut point s’engager à ce voyage, qu’en cas qu’ils lui promissent un bon succès. Il demanda donc du temps pour les consulter, et après cela il promit d’accompagner son Mécène [4]. Il le pria de lui permettre de choisir l’heure propice pour leur départ, et il l’assura que l’expérience lui apprendrait combien il importe de commencer ses entreprises sous un aspect favorable des étoiles [5]. M. de Chavigny ne contesta rien et l’assura de sa soumission. Morin trouva qu’il fallait partir le 9 du mois de mai, à quatre heures neuf minutes du matin, et pria que tout fût prêt pour ce moment. Les ordres du maître furent si précis et si bien exécutés, qu’à ce moment-là il ne manquait rien aux

  1. Quâ primùm vice Lutetiam venit Morinum ad videndum accersiri jussit, quem in astrologicis omnium perspicacissimum palam et clarè testata est. Vita Morini, pag. 16, num. 60.
  2. C’était sans doute le cardinal de Richelieu.
  3. Je tire ceci de la page 128 et 129 du livre de M. Bernier, Anatomia ridiculi muris ; mais c’est un passage que M. Bernier rapporte de l’Apologie de Gassendi adversùs alas Jo. Morini.
  4. Morini Astrolog. gallica, libr. XXVI, cap. VII.
  5. Illustrissimum dominum.... ab astrologiâ non alienum rogavi, ut ipsi placeret me diem et horam ad proficiscendum fortunatam eligere, seque experturum quanti esset momenti suscepta sub congruo cœli statu inchoare. Ibidem, pag. 778.