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MORIN.

capable de faire mourir ? Fieri nihil posse impudentiùs, quàm mortem homini viventi publico scripto prædicere, esse nihil virgâ censoriâ publicique cognitoris anmimadversione dignius, quàm captandæ mortis occasionem ingerere, quàm oculos omnium in unum, quasi in commune aliquod spectaculum, convertere ; quàm illi si credulus fuerit (uti nemo ferè non est), causam mortis objicere ; cùm constet multos ex solo mortis hoc modo prænunciatæ metu, morbum, mortemque contraxisse [1] ...... Ecqua est certè vindictæ species adversùs credulum inimicum major, quàm ut illi prædicatur ab astrologo futurum, ut tali tempore moriatur, aut in gravi mortis periculo sit ; cùm exindè nihil fieri possit illius animo ærumnosius, nihil, quod, ob causam jam dictam, possit illi magis et morbum et mortem inducere [2] ? 2°. Que de tels prophètes s’engagent presque nécessairement à une démarche antichrétienne, c’est-à-dire à s’informer curieusement si ceux qu’ils ont menacés sont bien malades, et à s’affliger de leur bon état : car où sont les gens qui n’aiment mieux voir dans le tombeau celui dont ils ont prédit la mort, que de se voir dans l’ignominie d’avoir été faux prophètes ? Permisit Deus durare adhuc te, si fortè acturus pœnitentiam fores ; cùm ob mala alia, tùm ob id, quòd ipsemet volens fecisses tibi necessitatem expetendi mortem tui proximi, ne cogereris delusæ artis, prædictionisque falsi confusionem sustinere, que ad desperationem te adigeret [3].

On publia, pendant le cours de cette querelle, bien des contes contre Morin. On lui reprocha entre autres choses, 1°. qu’il avait été maître d’école jusqu’à l’âge de quarante ans, et qu’on l’avait vu, la plume à l’oreille et l’écritoire à la ceinture, demander de porte en porte si quelqu’un voulut apprendre à lire, à écrire et à chiffrer à tant par mois [4] ; 2°. qu’il promit à un jeune gentilhomme dont il avait fait l’horoscope, un grand bonheur dans les armes, et principalement dans les duels, ce qui fut cause que ce garçon devint querelleur, et voulut se battre pour une légère offense avec un homme qui le tua. On ajouta que le frère aîné du défunt, ayant su la prédiction de Morin, lui déchargea sur de dos toute sa colère : que les coups furent si pesans, qu’il fallut que les chirurgiens en dressassent un procès verbal, et que l’on en portât plainte à la justice de Sainte-Geneviève ; mais que les pères de la doctrine chrétienne s’interposèrent pour terminer le procès, et firent donner au battu une bonne somme, qu’il reçut comme une très-douce consolation [5] ; 3°. Que son avarice était sordide, et qu’il ne faisait des horoscopes que pour attraper de l’argent. Il réfute le premier reproche, en prouvant que depuis qu’il fut reçu médecin, jusqu’à ce qu’on lui donna la profession en mathématiques, il fut ou chez l’évêque de Boulogne, ou chez l’abbé de la Bretonnière, ou chez le duc de Luxembourg [6]. Remarquez qu’il n’était âgé que de trente ans, lorsqu’il fut promu au doctorat en médecine. Voyez la dernière remarque [7]. Il réfute le second reproche, en soutenant que si l’on veut interroger, ou ses voisins, et nommément M. Colletet, ou les juges de Sainte-Geneviève, ou les pères de la doctrine chrétienne, on trouvera qu’ils n’ont nulle connaissance de cette aventure [8]. Enfin, il dit qu’il n’est point avare, et qu’il ne l’a jamais été, et que son étoile prouve qu’il est aussi libéral que Gassendi est épargnant, selon sa figure de nativité. Il soutient que les leçons particulières d’astrologie lui eussent valu cent mille francs, s’il eût voulu avoir pour disciples tous ceux qui le voulaient être ; mais qu’il avait toujours refusé ceux même qui étaient recommandables par leur haute condition ; qu’on n’a que faire de lui parler de ses nièces : Dieu y a

  1. Bernerius, Anatomia ridiculi maris, pag. 144, 134.
  2. Ibid., pag. 137.
  3. Ibid., pag. 136.
  4. Me calamo supra aurem et scriptorio in latere ostiatim mendicâsse scolasticum, ut stipendio mensurno ducerem legere, scribere. et computare. Morin., in Defens. Dissertat., pag. 106.
  5. Ibid., pag. 108.
  6. Ibid., pag. 106, 107.
  7. Citation (137).
  8. Morin., in Defens. Dissertat., pag. 108.