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MORUS.

harangues et des poëmes en latin. Depuis sa mort on a imprimé quelques fragmens de ses sermons, et même quelques sermons tout entiers [1] : disons un mot sur ses harangues. Il en prononça trois à Genève, qui sont fort belles : la latinité en est plus docte qu’élégante ; il aimait les phrases peu communes, et les significations de mots dont on ne trouvait presque point d’exemples. De ces trois harangues il y en a une qui est un panégyrique de Calvin, et une autre qui a pour titre, de Pace, dans laquelle il condamna fortement, sans nommer personne, MM. Amyraut et Spanheim, qui étaient en guerre ouverte sur la grâce universelle. Il leur dit leurs vérités comme il faut. Ce fut une véritable mercuriale ; il s’en donna au cœur joie. Disons aussi un petit mot sur ses poésies latines. On estime beaucoup celles qu’il fit sur la naissance de Notre-Seigneur, et pour rendre grâces à Dieu après une grande maladie. M. Pérachon, qui était alors protestant, les traduisit en vers français, et les publia à Paris, l’an 16.... [* 1] Je ne me souviens point d’avoir vu d’autres vers français de M. Morus, que la réponse qu’il fit sur les mêmes rimes à un sonnet que Corras lui adressa après son abjuration.

(M) La querelle qu’il eut avec Jean Milton. ] L’origine de cette querelle fut qu’en 1652 M. Morus fit imprimer à la Haye un livre de Pierre du Moulin le fils [2], et le dédia sous le nom de l’imprimeur [3] au roi de la Grande-Bretagne. Ce livre, intitulé Regii sanguinis Clamor ad cœlum adversùs Parricidas anglicanos, est une invective bien poussée contre les parlementaires : Milton en particulier y est extrêmement maltraité. L’épître dédicatoire ne le ménage pas mieux ; mais il est déchiré en pièces beaucoup plus furieusement dans les vers qui sont à la fin du livre. Milton, qui avait laissé sans repartie divers écrits violens publiés contre les parlementaires, ne put garder le silence à l’égard de celui-ci, où il se voyait personnellement intéressé, tant par les éloges immenses que l’on y donnait à Saumaise, que par les injures terribles dont il s’y trouvait accablé. Il répondit donc, et supposa, soit de bonne foi, soit par ruse, afin d’avoir plus de prise sur celui qu’il réfuterait, que cet ouvrage avait Morus pour auteur [4]. Il le traita comme un chien, ou plutôt comme un bouc ; car il l’accusa de mille impudicités, et nommément d’avoir débauché une servante à Genève, et de l’avoir entretenue depuis qu’elle eut un mari ; et d’avoir engrossé la femme de chambre de madame de Saumaise, sous promesse de mariage. Il l’accusa d’avoir été convaincu de diverses hérésies à Genève, et de les avoir honteusement abjurées de bouche, mais non pas de cœur. Il l’accusa d’avoir été huit ou dix mois dans Genève, privé de ses gages et de ses fonctions de professeur et de ministre, à cause du procès d’adultère, etc., qui lui avait été intenté, dont l’issue, dit-il, aurait été sa condamnation, s’il n’eût esquivé le jugement définitif, en déclarant qu’il voulait sortir de la ville. Il l’accusa d’avoir été interdit des fonctions du ministère par les magistrats d’Amsterdam : enfin il le diffama de la manière du monde la plus cruelle, répandant sur les contes qu’il en faisait un tas de railleries bouffonnes. M. Morus lui opposa une pile d’attestations d’orthodoxie et de bonne vie, que les consistoires, les académies, les synodes et les magistrats des lieux où il avait vécu lui avaient données. Il lui fit voir que les juges, tant civils qu’ecclésiastiques, qui avaient connu des prétentions de la femme de chambre de madame de Saumaise, les avaient déclarées nulles, et qu’il était sorti

  1. * Dans la Bibliothéque française, XXXIX, 262, on remarque que Bayle en employant le pluriel, semble parler ici de deux poëmes différens. Il ne s’agit pourtant que d’un seul, qui est celui que Perrachon a traduit sous le titre de : Poëme sur la Naissance de Jésus-Christ, Paris, 1665, in-folio, dit Joly, réimprimé en 1669.
  1. À la Haye, 1685. Voyez les Nouvelles de la République des Lettres, mois de mars 1685, pag. 333 de la seconde édition. On a imprimé dix-huit de ses Sermons sur le VIIIe. chapitre de l’Epître aux Romains, à Amsterdam, l’an 1691.
  2. Voyez Daillé, Réplique au père Adam, IIe. part., pag. 127. Colomiés, Biblioth. choisie, pag. 19.
  3. Il y eut des exemplaires où M. Morus mit son nom, à ce que dit Milton, Defens. pro se, pag. 23, 25.
  4. Le Catalogue de la Bibliothéque d’Oxford le donne aussi à M. Morus.