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MORUS.

pur et net de celle affaire, malgré le complot de cette dame, qui avait mis tout en œuvre contre lui [1]. Il fit voir par des certificats authentiques des magistrats d’Amsterdam, du consistoire wallon, et des curateurs de l’école illustre de la même ville, qu’il m’avait jamais été interdit de ses fonctions de ministre. Je n’ignore pas qu’il n’y ait des exceptions à alléguer contre les certificats de bonne vie, et qu’il ne soit un peu étrange que ceux que Morus obtint à Genève aient été si différens du témoignage de la voix publique : car, après tout, il est certain que Milton avait reçu des mémoires de Genève, et qu’il produit [2] une lettre écrite de cette ville, qui assure que tout le monde admirait qu’il eût été si fidèlement instruit sur le chapitre de M. Morus. Il ne demeure point court à l’égard des certificats : il dit [3] en particulier de ceux de Genève, qu’ils furent donnés avant que les accusateurs de M. Morus pour fait d’adultère l’eussent attaqué formellement. On sait d’ailleurs que la plus grosse tempête que ce ministre ait essuyé à Genève, s’éleva depuis les attestations obtenues le 25 de janvier 1648 : et quelqu’un a publié [4] que le magistrat de cette ville cassa l’acte de déposition décrétée contre M. Morus par le consistoire ; et qu’il commanda au consistoire de donner à ce ministre un témoignage de bonne vie. Mais enfin il y a incomparablement plus d’exceptions à alléguer contre les bruits diffamatoires, qu’un auteur comme Milton est capable de recueillir, que contre les certificats : de sorte que, tout bien compté, je serais d’avis que, vu ceux qui ont été produits par sa partie, et les inconvéniens qu’on aurait à craindre si des accusations vagues, et sans preuve juridique, l’emportaient sur des justifications revêtues de formalités, il demeurât chargé de la note d’un calomniateur public, sauf dans les faits où il se pourrait munir du secours de quelques actes authentiques. Je serais d’avis nommément que le distique qu’il fit insérer dans la gazette de Londres, fût déclaré une turlupinade diabolique. Le voici : car je ne crois pas que M. Colomiés [5] ait voulu parler d’un autre distique.

Galli ex concubitu gravidam te, Pontia [6], Mori,
Quis benè moratam morigeramque neget ?


La haine de Milton a été assez opiniâtre, comme il paraît par une lettre [7] qu’il écrivit lorsqu’il s’agissait de l’affaire de M. Morus au synode national de Loudun. Il croyait que, quand même on n’y ordonnerait autre chose que la déposition de ce ministre, il arriverait à ce synode ce qui n’était encore arrivé à aucun autre, c’est-à-dire d’avoir une heureuse issue. Synodo intereà protestantium Laodunensi [8], propediem, ut scribis, convocandæ, precor id quod nulli adhuc synodo contigit, felicem exitum, non Naziansenicum, felicem autem huic nunc satis futurum si nihil aliud decreverit quàm ejiciendum esse Morum. Cette lettre est datée du 20 décembre 1659 ; c’est-à-dire du 30 selon le nouveau style. Le synode avait donc déjà duré près de deux mois, et cependant Milton en parle comme d’une assemblée à venir ; ce qui fait voir qu’il n’avait guère de correspondances en France. Dans une autre lettre [9] il parle encore plus durement de la vocation de M. Morus à Charenton ; c’est sans le nommer.

(N) Il y a des choses dans le Ménagiana qui lui sont glorieuses. On y en trouve aussi qui ne le sont point. ] « M. Morus déclara avant que de mourir, que personne ne l’avait

  1. Illa mihi graviter jam dudùm infensa.…... nihil intentatum reliquit ut me in nassam infaustissimi matrimonii compingeret. Quod ubi sensit innotuisse vulgo, me verò palam vehementissimèque reluctari, Acheronta movebo, inquit, et perdam ipsum, quâ sæpè formulâ utitur. Morus, Fides publica, pag. 190.
  2. Milton, Defens. pro se, pag. 132.
  3. Idem, pag. 92, 141.
  4. Ludov. Molinæus, Parænesi ad ædificat., pag. 433.
  5. Bibliothéque choisie, pag. 19.
  6. C’est ainsi qu’il nommait la femme de chambre de madame de Saumaise. M. Morus, sans dire quel était son vrai nom, nie que Milton l’eût bien nommée. Voyez Miltoni Defens. pro se, pag. 164.
  7. C’est la XXIXe.
  8. Il eût fallu dire Juliodunensi, ou Lausdunensi, etc.
  9. C’est la XXIVe., et elle est datée du 1er. d’août 1657.