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MAHOMET.

transportés de trop de zèle, lorsqu’ils reprochent aux catholiques l’absurdité de tels miracles ? Pourquoi ne dirions-nous pas que les chrétiens qui ont raillé les mahométans sur des miracles qu’on ne trouve point aujourd’hui dans les écrivains arabes, avaient lu quelques auteurs de néant qui s’étaient donné l’essor en l’honneur du faux prophète, comme font nos légendaires en l’honneur des saints ? Si l’on ne trouve pas dans les auteurs graves tout ce que M. Chevreau va nous dire, on le trouve peut-être dans des écrivains de mauvais aloi, et semblables à ceux qui publient les petits livrets couverts de bleu que les colporteurs vendent dans les rues. Laissons parler M. Chevreau [1] : « Quand les Koréischites de la Mecque l’eurent[2] prié de faire un miracle pour faire connaître ce qu’il était, il divisa la lune en deux pièces, entre lesquelles ils aperçurent une montagne. Ayant appelé deux arbres, ils se joignirent pour aller à lui, et se séparèrent, en se retirant, par le commandement qu’il leur en fit. Dans tous les endroits où il passa, il n’y avait ni arbre ni pierre qui ne le saluât avec respect, et qui ne lui dît : La paix soit sur vous, apôtre de Dieu. Il faisait sortir d’entre ses deux doigts des fontaines, qui, dans la plus grande sécheresse, fournissaient de l’eau à tous ses soldats, et à toutes les bêtes de charge de son armée qui était nombreuse. Avec un chevreau et quatre petites mesures d’orge, il contenta la faim de quatre-vingts hommes ; en nourrit un plus grand nombre avec quelques pains ; et une autre fois généralement toutes ses troupes avec peu de dattes qu’une jeune fille lui avait portées dans sa main. Un tronc de palmier, devant lequel il avait accoutumé de prier Dieu, eut une si grande passion pour lui, qu’en son absence on l’entendit crier plus haut qu’un chameau, et ne cria plus dès le moment qu’il s’en approcha.... S’il fallait compter ses miracles, on en compterait jusques à mille, selon quelques-uns ; jusques à trois mille, selon quelques autres. »

Je ne voudrais pas nier qu’à certains égards le zèle de nos disputeurs ne soit injuste ; car s’ils se servent des extravagances d’un légendaire mahométan, pour rendre odieux ou ridicule Mahomet même, ils violent l’équité que l’on doit à tout le monde, aux plus méchans, comme aux gens de bien. Il ne faut jamais imputer aux gens ce qu’ils n’ont point fait ; et par conséquent il n’est point permis d’argumenter contre Mahomet en vertu des rêveries que ses sectateurs content de lui, s’il n’est pas vrai qu’il les ait lui-même débitées. Il sera assez chargé, quand même on ne lui fera porter que ses propres fautes, sans le rendre responsable des sottises qu’un zèle indiscret et romanesque a fait couler de la plume de ses disciples.

(I)....... Ils prétendent que sa naissance fut accompagnée de circonstances si miraculeuses, qu’on n’en saurait être assez étonné. ] « Pourvu qu’on en croie quelques Arabes, voici les miracles qui précédèrent où qui accompagnèrent la naissance de Mahomet, et qui donnèrent de l’étonnement à tout le monde. Émine porta sans inquiétude, dans son ventre, ce nouveau prophète. Elle accoucha de lui sans douleur : et il tomba, quand il vint au monde, le visage contre terre pour honorer Dieu. En se relevant, et haussant la tête, il s’écria, qu’il n’y avait qu’un seul Dieu qui l’avait choisi pour son envoyé. Il naquit circoncis ; ce que la plupart des Juifs croient d’Adam, de Moïse, de Joseph et de David ; et les démons furent tous alors chassés du ciel. Sa nourrice Halima, ou la débonnaire, qui n’avait point de lait dans son sein, en eut quand elle s’offrit au nouveau-né. Quatre voix furent entendues aux quatre coins de la Caabah, et en publièrent les merveilles. Le feu des Perses, qui avait toujours éclairé, s’éteignit. Un palmier sec poussa des feuilles et du fruit. Des sages-femmes d’une beauté extraordinaire se trouvèrent là sans y avoir été appelées ; et il y eut même des oiseaux qui avaient pour bec des

  1. Chevreau, Histoire du Monde, liv. V, tom. III, pag. 8.
  2. C’est-à-dire, Mahomet.