Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T10.djvu/76

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
66
MAHOMET.

tiens ne fournisse pas les plaisirs de la bonne chère, la jouissance des belles femmes, etc., puisqu’il fournit d’autres plaisirs qui surpassent infiniment tout ce que les voluptés de la terre ont de plus sensible ? Je crois donc qu’il ne se faut pas imaginer que les espérances que Mahomet a données du bonheur de l’autre vie aient attiré à sa secte les chrétiens qui s’y engagèrent. Disons à peu près la même chose à l’égard des juifs ; car il paraît par plusieurs psaumes de David qu’ils se faisaient une idée merveilleuse du bonheur de l’autre vie. Les païens étaient plus aisés à leurrer, à cause que leur religion les laissait dans des ténèbres fort épaisses sur le détail des joies du paradis : mais ne tient-il qu’à dire aux gens qu’après cette vie ils jouiront des voluptés sensuelles avec beaucoup plus de satisfaction que dans ce monde ? Et qui êtes-vous, demanderait-on, qui nous promettez cela ? qui vous l’a dit ? d’où le savez-vous ? Il faut donc supposer avant toutes choses que Mahomet, indépendamment des promesses de son paradis, s’est établi sur le pied d’un grand prophète ; et qu’avant que de se laisser prendre à l’appât de ces voluptés, on a été persuadé qu’il avait une mission céleste pour l’établissement de la vraie foi. Ainsi les progrès de cette secte n’ont point eu pour cause les promesses d’un paradis sensuel : car ceux qui ne le croyaient pas envoyé de Dieu ne tenaient nul compte de ses promesses ; et ceux qui le croyaient un vrai prophète n’auraient pas laissé de le suivre, encore qu’il ne leur eût promis qu’un bonheur spirituel dans l’autre monde. Ne donnons point lieu aux libertins de rétorquer contre l’Évangile cette objection, comme s’il n’avait eu tant d’efficace pour convertir les païens, qu’à cause qu’il leur promettait un paradis, ou une félicité qui surpasse infiniment tout ce que l’on peut imaginer de délicieux. En particulier, abstenons-nous des railleries qui seraient fondées sur l’or et les pierreries, et sur tels autres ornemens du paradis de Mahomet ; car vous trouvez de telles choses, et autant d’espèces de pierres précieuses, que dans la boutique du plus fameux joaillier, dans la description que l’Apocalypse[1] nous donne du paradis. Et qu’on ne me dise pas qu’une âme charnelle et brutale croit plutôt les plaisirs grossiers que les plaisirs spirituels ; car s’il y a des choses qui lui paraissent incroyables, c’est principalement la résurrection ; de sorte que si Mahomet a pu lui persuader la résurrection, un chrétien lui eût pu persuader les joies spirituelles de l’autre monde. Voyez la note[2].

(N) Il prit le parti de contraindre par les armes à se soumettre à sa religion. ] Il ne faut point chercher ailleurs la cause de ses progrès ; nous l’avons ici toute entière. Je ne nie point que les divisions de l’église grecque, où les sectes s’étaient malheureusement multipliées, le mauvais état de l’empire d’Orient, et la corruption des mœurs, n’aient été une favorable conjoncture pour les desseins de cet imposteur ; mais enfin, comment résister à des armées conquérantes qui exigent des signatures ? Interrogez les dragons de France qui servirent à ce métier, l’an 1685 : ils vous répondront qu’ils se font fort de faire signer l’Alcoran à toute la terre, pourvu qu’on leur donne le temps de faire valoir la maxime, compelle intrare, contrains-les d’entrer. Il y a bien de l’apparence que si Mahomet eût prévu qu’il aurait de si bonnes troupes à sa dévotion, et si destinées à vaincre, il n’aurait pas pris tant de peine à forger des révélations, et à se donner des airs dévots dans ses écrits, et à rajuster ensemble plusieurs pièces détachées du judaïsme et du christianisme. Sans s’embarrasser de tout ce tracas, il eût été assuré d’établir sa religion partout où ses armes auraient pu être victorieuses ; et si quelque chose était capable de me faire croire qu’il y a eu bien du fanatisme dans son fait, ce serait de voir une infinité de choses dans l’Alcoran, qui ne peuvent sembler nécessaires qu’en cas qu’on ne veuille

  1. Dans le chap. XXI.
  2. On ne prétend pas nier que Mahomet n’ait proposé un grand leurre aux Sarrasins en leur permettant la polygamie ; car ils étaient fort enclins à l’acte vénérien. Incredibile est quo ardore apud eos in Venerem uterque solvitur sexus. Ammian. Marcellin., lib. XIV, cap IV, pag. m. 14.