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MAHOMET.

dit quelque part qu’il est agréable de voir un naufrage que l’on ne craint pas[1] :

Quand on est sur le port à l’abri de l’orage[2],
On sent à voir l’horreur du plus triste naufrage
Je ne sais quoi de doux :
Non que le mal d’autrui soit un objet qu’on aime,
Mais nous prenons plaisir à voir que ce mal même
Est éloigné de nous[* 1]


C’est tout le contraire pour les femmes dans le système de Mahomet : la vue d’un bonheur dont elles seraient privées les affligerait, et leur serait plus douloureuse, tant parce qu’elle leur ferait connaître le bien d’autrui, que parce qu’elle leur ferait connaître le bien qui leur manque ; car le tourment de la jalousie vient beaucoup moins de ce que l’on est dans l’indigence, que de savoir que d’autres jouissent. J’ai ouï dire à bien des gens, et je pense même l’avoir lu, que les damnés auront une idée fort exacte du bonheur du paradis, afin que la connaissance des grands biens qu’ils ont manqué d’acquérir augmente leur désespoir[3], et que ce sera le diable qui se servira de cet artifice, pour les rendre plus malheureux. C’est bien entendre la méthode d’aggraver les peines d’un misérable. Disons donc encore un coup que Mahomet n’aurait pu faire connaître sa dureté plus malignement. Il voulait que l’on vît de loin ce qui n’était propre qu’à donner des tentations inutiles et des regrets insupportables.

Mais, pour dire les choses comme elles sont, je dois avertir que les habiles mahométans ne disent point que les femmes seront exclues du paradis[4] : j’ai cru néanmoins qu’il m’était permis de rapporter ce que j’avais lu dans plusieurs auteurs. Je n’en cite qu’un. Hasce mulieres statuunt non humanas atque ex hominibus genitas, sed ab æterno in hunc finem à Deo creatas, et cœlestes esse ; suas enim quas hic habuerunt Muhammedani mulieres statuunt exsortes fore paradysi, atque extrà eum foris constitutas, per cancellos eminùs virorum gaudia, et cum aliis sc. uxoribus congressus conspecturas. Longè plures ibi credunt fore mulieres, quàm viros, singulisque viris plures vel pauciores pro merito addendas, quibus non ad prolem, sed unicè ad lubitum et satietatem voluptatis usuri sint ; quin et vires iis subministrandas majores eum in finem, ut sæpiùs coïre possint, easque eundem in finem fore mundas à menstruis[5]. Cet auteur ne cite personne, et il venait de rapporter quelques passages de l’Alcoran, qui ne nous apprennent autre chose, sinon que les dames du paradis auront les yeux très-brillans, et de la grandeur d’un œuf, et qu’elles seront si modestes, qu’elles ne jetteront jamais la vue que sur leurs maris[6]. Ce n’est donc point dans l’Alcoran que l’on trouve ce que cet auteur rapporte touchant ces dames ; c’est qu’elles seront en plus grand nombre que les hommes, afin que chacun en puisse avoir deux ou trois, ou davantage à proportion de son mérite ; c’est qu’elles ne seront données que pour le plaisir, et non pas pour enfanter : c’est qu’elles seront toujours en état de contenter leurs maris, n’étant point sujettes au flux menstruel, comme l’appellent les médecins ; c’est qu’elles seront si belles, qu’il n’en faudrait qu’une pour éclairer toute la terre pendant la nuit ; c’est que si elles crachaient dans la mer, elles lui ôteraient son amertume. Tanta istarum puellarum deprædicatur pulchritudo et gratia,

  1. (*) Ces vers sont en effet de la IIe. part. de cet ouvrage, pag. 36, édit. de Hollande, 1672. Rem. crit.
  1. Suave mari magno turbantibus æquora ventis,
    E terrâ, magnum alterius spectare laborem.
    Non quia vexari quemquam est jucunda voluptas,
    Sed quibus ipse malis careas, quia cernere suave est.
    Lucret., lib. II, init.

  2. Sentimens de Cléanthe, pag. m. 36.
  3. On pourrait appliquer ici ces vers de Perse, sat. VIII, vs. 36 :

    Magne pater divùm, sævos punire tyrannos
    Haud aliâ ratione velis, cùm dira libido
    Moverit ingenium, ferventi tincta veneno :
    Virtutem videant, intabescantque relictâ.

  4. Voyez l’article Hali-beig, tom. VII, pag. 479, remarque (C).
  5. Hoornbeek, Summa Controv., pag. 175.
  6. Fruentur fœminis quibus oculi clarissimi grandesque ut ova quos non ad alios quàm maritos suos erigent. Surat. XLVIII, Ducturi virgines decentissimas cum oculis immensis atque pudibundis nusquàm nisi tandem al maritos suos flectendis. Surat LXII.