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MAHOMET.

les. Ce n’est donc pas la cruauté des mahométans qui a perdu le christianisme de l’orient et du midi, c’est leur avarice. Ils faisaient acheter bien cher aux chrétiens la liberté de conscience, ils imposaient sur eux de gros tributs, ils leur faisaient souvent racheter leurs églises, lesquelles ils vendaient quelquefois aux juifs, et après cela il fallut que les chrétiens les rachetassent : la pauvreté anéantit les esprits et abaisse les courages. Mais surtout le mahométisme a perdu le christianisme par ignorance. » Il a redit la même chose en moins de mots dans l’une de ses pastorales[1], supposant toujours que le christianisme est péri sous la domination des mahométans. Il se trompe, et il eût parlé autrement, s’il eût mieux consulté les historiens : mais ce n’est pas de quoi il s’agit. Passons outre, et remarquons qu’il nous enseigne clairement que des Sarrasins et les Turcs ont traité l’église chrétienne avec plus de modération que les chrétiens n’en ont eu ou pour les païens, ou les uns envers les autres ; car il observe que les empereurs chrétiens ont ruiné le paganisme en abattant ses temples, en consumant ses simulacres, en interdisant le culte de ses faux dieux ; et que les princes réformés ont aboli le papisme, en brûlant les images, en faisant enterrer les reliques, en interdisant tout culte idolâtre[2]. Il est visible que les souverains, qui interdisent tout d’un coup une religion, usent de plus de violence que les souverains qui lui laissent son exercice public, et qui se contentent de la tenir bas, selon les manières des Turcs envers les chrétiens.

La conclusion que je veux tirer de tout ceci, est que les hommes se conduisent peu selon leurs principes. Voilà les Turcs qui tolèrent toutes sortes de religions, quoique l’Alcoran leur ordonne de persécuter les infidèles ; et voilà les chrétiens qui ne font que persécuter quoique l’Évangile le leur défende. Ils feront un beau manège dans les Indes et dans la Chine, si jamais le bras séculier les y favorise : assurez-vous qu’ils s’y serviront des maximes de M. Jurieu. Ils l’ont déjà fait en quelques endroits. Lisez ce qui suit, vous y trouverez que les raisons ne suffisant pas à convertir les infidèles, on pria le vice-roi de Goa de secourir l’Évangile par des arrêts de confiscation, etc. Cùm necessarium esset, ut præter autoritatem ecclesiæ potestas principum virorum ad copiosam hanc frugem accederet, quæ obstacula omnia amoliretur, Deus dominus noster pro-rege tanquàm instrumento in multis usus est. Itaque ubi Brachmani rationibus se destitui viderant, ad defensionem satis esse putabant, ut quoquo modo de cassibus effugerent, quod se more majorum vivere profiterentur. Sed cùm pro innatâ animi pertinaciâ neque unquàm se victos agnoscerent, neque rationibus quamtùmlibet efficacibus crederent : pro-rex in compendium misso negotio malo huic nodo malum cuneum opponit, legem promulgat, ut intrà quadragesimum diem à decreti promulgatione Brachmanes cum suis omnibus, qui christiani fieri nollent, supellectili omni, quæque in ratis et censis haberent, intrà id tempus distractis in exilium abirent ; qui non parerent, jacturam ejus facturos, et ad triremes abreptum iri comminatus est[3]. Voyez la note[4].

(BB) On peut alléguer des preuves de fausseté tirées de la pièce même. ] Considérez un peu ces paroles de M. Prideaux : Grotius rejette cette capitulation comme une chose forgée : et il a raison d’en agir ainsi : car cette pièce est datée de la 4e. année de l’hégire, dans un temps où Mahomet n’était pas encore en état de parler le langage qu’on lui fait parler dans cet écrit ; son pouvoir dans ce temps-là n’étant pas non plus si formidable que d’exciter personne à le prier de lui accorder sa protection, vu qu’il avait été défait peu de temps auparavant à la bataille d’Ohud, où il avait

  1. La IXe. de l’an 1688, pag. 196. J’ai cité ses paroles, ci-dessus, remarque (O), citation (56).
  2. Voyez ce que j’ai cité des Droits des deux Souverains, ci-dessus, remarque (O), citation (65).
  3. Ludovicus Frois, in epistolâ ad fratres in Europâ degentes scriptâ Goâ primo die decembris 1560, apud Dannhawerum, in Vale triumphali, pag. 10.
  4. Les barbaries que les Espagnols ont exercées dans l’Amérique sont horribles.