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MAHOMET.

comme celles des autres, sont jusqu’au jour du jugement dans les tombeaux, où leurs corps ont été ensevelis[1]…… L’âme de Mahomet est aussi renfermée dans son sépulcre, car il a refusé le ciel, où Dieu lui a offert de le recevoir, n’y voulant pas être sans ses fidèles. Cette âme conduira, au dernier jour, toutes les âmes mahométanes à la gloire céleste…. Afin que l’on voie qu’ils prient Dieu pour Mahomet, voici la conclusion de l’une de leurs prières : Ô mon Dieu, sois propice à Mahomet et au peuple mahométan, comme tu as été propice à Abraham et à son peuple, parce qu’on te loue et qu’on te glorifie. » Si l’on n’avait point de meilleures preuves que Mahomet n’est pas invoqué par ses sectateurs, je ne voudrais pas nier qu’il ne le fût ; car j’ai rapporté[2] un formulaire de prières qui montre qu’ils invoquent Dieu pour les mêmes saints qu’ils invoquent. Quant à leur respect pour l’Alcoran, voyez ce qu’en dit M. Pfeiffer dans le VIIe. volume de la Bibliothéque universelle[3]. Leur attachement au mahométisme est si fort, qu’on n’en peut presque convertir aucun à la religion chrétienne[4] ; et sans doute il y a bien plus de chrétiens qui se font mahométans, que de mahométans qui embrassent l’Évangile. Les païens sont plus faciles à convertir[5]. La distinction du moine Richard me paraît vaine. Il dit qu’un mahométan se ferait plutôt chrétien à l’article de la mort, que dans sa bonne santé ; et qu’un chrétien n’embrasserait point le mahométisme à l’article de la mort : qu’ils conviennent donc l’un et l’autre que la religion mahométane est plus commode pour vivre, et que la chrétienne est plus sûre pour mourir. Christianus quidem nunquàm in morte fieret Sarracenus, sed in vitâ ; Sarracenus autem potiùs in morte fit christianus, quàm in vitâ : uterque igitur horum potiùs eligit christianus mori, quàm Sarracenus[6]. Cette distinction est un avantage dont les catholiques romains et les réformés se vantent également. Voyez la remarque (E) de l’article Abulpharage. Mais la vérité est, qu’à la réserve d’un petit nombre de gens, chacun souhaite de mourir dans la religion où il a été élevé : s’il l’a quittée, ç’a été pour quelque avantage temporel ; quand il s’en va mourir, cet avantage lui est inutile ; il souhaite donc de mourir dans sa première communion. Un mahométan en est logé là tout comme les autres, s’il lui est arrivé pour des considérations humaines d’abjurer sa foi. L’ignorance fait dans le cœur de ces infidèles ce que la science produit dans le cœur d’un orthodoxe honnête homme, je veux dire un attachement invincible à ses opinions. Mais je dirai en passant que la religion mahométane n’est pas aussi dépourvue d’apologistes qu’on le croit ordinairement. Il y a des Arabes qui ont écrit en faveur de l’Alcoran, et contre la Bible, avec assez d’industrie pour fomenter les préjugés. Hottinger parle d’un auteur[7] qui épluche les contradictions apparentes de l’Écriture, et qui prétend même prouver par la Bible, la mission de Mahomet. Nous serions fort simples, si nous croyions qu’un Turc, qui examine cela, le trouve aussi faible que nous le trouvons. Il n’aperçoit aucune force dans les objections contre l’Alcoran ; il en aperçoit beaucoup dans les objections contre les chrétiens. Tant est grande la force des préjugés !

(EE) Il n’est pas vrai que son tombeau soit suspendu. ] Une infinité de gens disent et croient que le cercueil de Mahomet étant de fer, et sous une voûte de pierres d’aimant, se tient suspendu en l’air, et que cela passe pour un grand miracle dans l’esprit de ses sectateurs. C’est une

  1. Bibliothéque universelle, t. X, p. 100.
  2. Dans l’article Fatime, tom. VI, pag. 410, remarque (D).
  3. Pag. 264.
  4. Experientia hactenùs docuit, et quotidiè etiamnum nostrates docel in Indiæ Orientalis Moluccis, regno Tarnatano, etc., ab ethnicismo plures posse converti, à muhammedismo ferè nullos aut paucissimos. Gisb. Voëtius, disputat., tom. II, pag. 668.
  5. Voyez les paroles de Voëtius que je viens de rapporter.
  6. Richardus, Confutat. Legis Sarracen., cap. X, apud Hoornb. Summa Controv., pag. 208.
  7. Il s’appelle Ahmed Abulabbas, ben Edris Senhagbius Melkita, Voyez Hotting., Hist orient., pag. 337.