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MAHOMET.

quicquam mundanum, ut inquiunt, viderent : reliquum vitæ curriculum ibi peregerint. Cela me fait souvenir d’une pensée de M. Ogier : il employa pour composer l’oraison funèbre de Philippe IV, roi d’Espagne[1], tout ce que l’exercice et l’étude de plusieurs années pouvaient lui avoir acquis de science dans l’art de bien dire, et il se résolut après cet ouvrage de ne se plus mêler d’éloquence et de suivre l’exemple..... d’un seigneur des Pays-Bas, qui après avoir régalé Charles-Quint dans une de ses maisons, la fit isoler le lendemain en l’air avec de la poudre à canon, ne jugeant pas qu’aucun homme fût digne d’y être reçu après cet incomparable prince[2]. Je n’ai pas encore rapporté tous les honneurs qu’on rend aux bêtes pour l’amour de Mahomet. Il y a dans le territoire de la Mecque une infinité de pigeons ; car comme on s’imagine qu’ils descendent de celui qui s’approchait de l’oreille du faux prophète, on croirait faire un grand crime, non-seulement si on les tuait, mais même si on les prenait, ou si on les faisait fuir. Summa columbarum copia invenitur, quæ quia sunt de genere atque stirpe ejus quæ ad Mahomedis aures (ut Moslemanni nugantur) accedebat, eo pollent privilegio atque authoritate, ut non solùm eas occidere, sed aut capere aut fugare nefas esse existiment[3]. J’ai copié ce passage, afin démontrer qu’il y a des écrivains célèbres qui assurent que les musulmans font mention de cette colombe qui s’approchait de l’oreille de Mahomet, de quoi pourtant les auteurs arabes n’ont point parlé, si nous en croyons Pocock[4]. N’oublions pas le chameau, qui depuis la Mecque jusques à Médine porta Mahomet droit à la porte du logis de Jul, fameux capitaine turc que ce prophète s’était proposé de visiter, sans savoir l’endroit où était logé un si vaillant homme[5]. Les mahométans prétendent que ce chameau ressuscitera, et qu’il jouira du bonheur du paradis[6]. Que dirai-je de la chemise de Mahomet ? On la garde au Caire d’Égypte, et on la porte en procession à certains jours avec de grandes cérémonies[7].

Au reste, il est faux que les musulmans aient témoigné leur vénération pour Mahomet en lui érigeant des statues. Il y a donc un mensonge dans l’histoire de la Guerre Sainte, publiée par le père Mabillon[8]. L’auteur y parle d’une statue de Mahomet, trouvée dans une mosquée qu’il appelle le temple de Salomon[9]. « Il dit que Tancrède la trouva assise sur un trône fort élevé, et qu’elle était si pesante que six hommes des plus forts ne la pouvaient porter qu’à peine, et qu’il en fallait dix pour le moins pour la lever. Il fait faire par Tancrède une harangue tout-à-fait pathétique à cette statue, où reconnaissant que c’était celle de Mahomet, il s’écrie : C’est ce scélérat de Mahomet, qui a été le premier Antéchrist. Oh ! si l’Antechrist qui doit venir était présentement avec celui-ci ! ah ! vraiment, je l’aurais bientôt écrasé sous mes pieds. Ceux qui ont quelque connaissance des sentimens des mahométans, savent qu’ils ne tiennent aucunes images, ni dans leurs mosquées, ni dans leurs maisons. » C’est une question si les musulmans invoquent ce faux prophète, et s’ils croient qu’il est au ciel : bien des gens leur imputent cette croyance[10]. « Mais il n’y a aucune de leurs prières solennelles qui ne s’adresse directement à Dieu, qu’ils prient même pour Mahomet ; et ils soutiennent que toutes les âmes, celle du prophète

  1. Journal des Savans, du 22 de février 1666, pag. m. 160, 161.
  2. Conférez avec ceci le passage de Térence, rapporté tom. V, pag. 493, citation (11) de l’article Diagoras athlète ; et celui de Pline, rapporté citation (67) de l’article Hercule, tom. VIII, pag. 88.
  3. Gabr. Sionita et Jo. Hesronita, in Tractatu de nonnullis Oriental. Urbibus, cap. VII, pag. 21.
  4. Voyez ci-dessus la remarque (V).
  5. Chevreau, Histoire du Monde, liv. V, tom. III, pag. 14.
  6. Là même.
  7. La Mothe-le-Vayer, lettre CXVI, tom. XII, pag. 33. Il cite le Voyage de Gouz.
  8. Dans le IIe. tome du Musæum Italicum.
  9. Cap. CXXV. Voyez la Bibliothéque universelle, tom VII, pag. 177.
  10. Bibliothéque universelle, tom. X, pag. 98, dans l’extrait d’un livre publié par M. Barrow, intitulé : Abrégé de la Foi et de la Religion des Turcs.