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MAHOMET.

meux Gassendi. Rapportons ses paroles [1]. « Je ne dirai rien aussi de cette prétendue suspension du sépulcre de fer de Mahomet, à la Mecque, entre des aimans d’égale force, et arrangés comme dans une espèce de voûte, ce qui s’est dit autrefois du cheval de fer de Bellérophon ; car c’est une chose qui surpasse toute l’industrie humaine, ou qu’on ait plusieurs aimans d’une même force, ou qu’on les puisse appliquer d’une telle manière que le fer qui sera au milieu ne sente pas plus de force d’un côté que d’autre, ou que le fer soit partout de la forme, de l’épaisseur, et de la température qu’il faudrait pour être également attiré de partout ; et cependant il est constant que la moindre petite différence, soit dans l’aimant, soit dans le fer, soit à l’égard du lieu, ferait qu’une partie l’emporterait sur l’autre. Je pourrais ajouter, comme ayant été plus d’un mois à Gidda sur la mer Rouge, à une petite journée de la Mecque, que le sépulcre de Mahomet ne fut jamais à la Mecque, mais qu’il est à Médine à six ou sept journées de là, et qu’en ces quartiers-là on n’a jamais ouï parler ni de cette voûte d’aimant, ni de cette suspension. » M. Vallemont soutient la possibilité de la suspension d’un tombeau de fer. Voyons ses preuves[2] : Le père Cabéus dit qu’il plaça un jour deux aimans l’un au-dessus de l’autre, et distans d’environ quatre doigts : puis ayant pris par le milieu avec deux doigts une aiguille à coudre, il la porta doucement entre ces deux aimans, cherchant ce juste milieu, où l’aiguille n’étant pas plus attirée d’un aimant que de l’autre, elle demeurerait suspendue en l’air sans tenir à rien. Il faut un peu de temps, et beaucoup d’adresse, pour trouver justement ce point-là, et pour y laisser l’aiguille sans qu’elle tombe : ce qui arrive par la moindre agitation de l’air. Enfin cela réussit pourtant au père Cabéus. L’aiguille demeura en l’air entre les deux aimans, ne touchant à rien, et ce charmant spectacle dura autant de temps qu’il en faut pour réciter quatre grands vers. Mais comme il se levait, afin d’appeler quelques-uns de ses amis, le mouvement de l’air rompit, pour ainsi parler, ce charme innocent. Sur cela ce philosophe ne fait point de difficulté d’assurer qu’on pourrait par ce moyen suspendre dans le milieu de l’air un coffre de fer, dans une chambre dont les murailles seraient incrustées de pierres d’aimant. Testor me id fecisse. Potuisset etiam arca ferrea fieri, et in cubiculo magnete lapide parietato ita disponi in medio aëre, ut penderet. Cabeus, lib. 4, cap. 18, pag. 334 et 335. Ce jésuite dit cela à l’occasion de ce qu’on raconte si souvent, que les sectateurs de l’impie Mahomet ont mis son corps dans une bière de fer qui est suspendue dans le milieu de l’air par des aimans. Il ne doute point que ce ne soit une fable : comme c’en est une effectivement. M. Vallemont rapporte ensuite les dernières paroles du passage de M. Bernier, que l’on a vu ci-dessus, et le blâme d’avoir assuré que c’est une chose qui surpasse toute l’industrie humaine. Le raisonnement, continue-t-il[3], pourrait établir le contraire évidemment, et l’expérience du père Cabéus décide la chose contre M. Bernier. J’ose bien dire que cette expérience décide plutôt pour lui ; car elle demande beaucoup de patience et beaucoup d’adresse, et ne produit rien qui puisse durer ; et cependant il ne s’agit que d’une petite aiguille. Jugez par là des difficultés qu’il faudrait vaincre pour suspendre entre deux aimans un cercueil de fer. M. Prideaux croit la même chose que M. Vallemont ; car après avoir dit que le corps de Mahomet fut enterré à Médine [4], et y est encore aujourd’hui sans bière de fer, et sans pierres d’aimant, il ajoute ces paroles : Je ne prétends point nier la possibilité du fait ; je sais que Dinocrate[* 1], fameux architecte, bâtit autrefois d’aimant le dôme du temple d’Arsinoé, à Alexandrie, et par ce moyen l’image toute de fer de cette princesse était

  1. (*) Plin., lib. 34, cap. 14.
  1. Bernier. Abrégé de la Philosophie de Gassendi, tom. V, pag. 322, 323.
  2. Vallemont, Description de l’aimant trouvé à Chartres, pag. 167.
  3. Là même, pag. 170.
  4. Prideaux, Vie de Mahomet, pag. 134.