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ORIGÈNE.

ne perd que par sa négligence…[1]. L’erreur d’Origène pourra inspirer le mépris de la repentance à quelques-uns, et celle des sociniens pourra en retenir d’autres dans l’impiété. Cependant l’une et l’autre est très-pernicieuse ; et c’est avoir un faux poids et une fausse mesure, et une acception de personnes trop visible, de dire que l’erreur d’Origène, quoique dangereuse, n’a rien d’impie ; mais que l’opinion socinienne est l’impiété épicurienne. Si Origène avait anéanti les réprouvés après un long purgatoire, sa théologie serait moins indulgente aux pécheurs impénitens que celle des sociniens, qui les anéantissent sans leur avoir fait souffrir aucune peine considérable[2]. Mais le paradis qu’il leur promet au bout de leur enfer, et qui les rendra éternellement semblables aux apôtres, aux martyrs et aux plus grands saints, est un puissant contre-poids contre la terreur d’un supplice qui fera place à des joies et à des félicités éternelles. »

Si l’on veut savoir la cause de cette acception de personnes, on n’aura qu’à lire ces paroles du même auteur[3] : La charité que l’on a pour ceux qui sont morts depuis plusieurs siècles ne coûte guère, parce que leur mérite n’excite pas notre jalousie et notre envie, et que nous ne les regardons pas comme nos concurrens. Mais pour juger charitablement d’un adversaire qui parle et qui écrit contre nous, et dont la réputation offusque notre gloire, il faut un peu mortifier l’amour-propre, et c’est un sacrifice que l’on ne fait pas facilement. Comme M. Jurieu n’a pas eu de querelle avec Origène, et qu’il a des ennemis personnels dans le parti socinien, il ne faut pas s’étonner s’il a plus de tolérance pour celui-là que pour ceux-ci. On s’est servi plusieurs fois de cette pensée pour donner raison de la conduite de ceux qui ont soutenu que Sophocle, Euripide, Aristophane, Aristote, etc., ont surpassé de beaucoup Corneille, Racine, Molière, Descartes, etc.

  1. Saurin, Examen de la Théologie de M. Jurieu, pag. 690.
  2. Il semble que M. Saurin tombe d’accord de ce qu’avance son adversaire, que les sociniens enseignent que l’âme des méchans est anéantie au même moment qu’ils meurent. Ce n’est pas ainsi que la doctrine de cette secte est rapportée ci-dessous, citation (18). Mais il est vrai que M. Saurin s’exprime d’une manière qui peut signifier qu’il n’impute point cela à la secte.
  3. Saurin, Examen de la Théologie de M. Jurieu, pag. 688.

(C) Si l’auteur du Janua cælorum reserata l’avait employée.] Cet auteur montre, par plusieurs preuves, que M. Jurieu, raisonnant conséquemment, doit enseigner que le socinianisme ne damne pas. L’une de ces raisons est tirée de ce que ce ministre avoue que les ariens ont appartenu à l’église dans laquelle le salut se peut obtenir. Cette raison serait faible, si les doctrines des sociniens qui n’ont pas été enseignées dans l’arianisme étaient mortelles. C’est pourquoi l’auteur du Janua cælorum se propose cette objection ; et il montre que, posé le cas que les hérésies communes aux sociniens et aux ariens ne soient pas mortelles, l’on ne saurait soutenir raisonnablement que les doctrines particulières aux sociniens méritent la damnation. Parcourant ces hérésies particulières, il commence par la réjection de l’éternité des enfers, et il met en fait que l’on n’oserait damner Origène ni Arnobe, précisément à cause de cette erreur. Quis auderet, dit-il[1], morti æternæ addicere Origenem, ideò præcisè quod de divinâ misericordiâ magnificentiùs sentire volens, crediderit tandem fore ut omnes mali, ne diabolis quidem exceptis, satis pænarum Deo dederint, et Deum placatum experiantur ? At hoc multò plus videtur nacere justitiæ divinæ quàm dogma socinianum de annihilatione reproborum post longas pænas ; nam destructio illa si minùs pænæ genus est gravius, ut quidam existimant, quàm æternitas infelix, rationem tamen habet pænæ, ideòque non officit juribus severi et justi legislatoris. Quidquid id est, nemo præjudiciis exutus, et ad rectæ rationis amussim rem expendens, doctrinam mortalem judicabit, si quis veritus lædere divinas perfectiones, malit sibi Deum repræsentare ut judicem ultimo supplicio reos afficientem, quam ut judicem vitæ reorum parcentem quò per multos annos exquisitis cruciatibus et perpetuis eos

  1. Carus Larebonius, in Januâ cælorum reseratâ, pag. 96, 97.