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ORIGÈNE.

torquendo, longiore alieni doloris spectaculo fruatur : nemo, inquam, solidè ratiocinatus talem opinionem mortalem crediderit, qui semel agnoverit arrianam hæresim non esse mortalem. Quis auderet Arnobium in inferis collocare quia crediderit animas reprohorum flammis ultricibus tandem penitùs consumi ? Vous voyez bien qu’il observe que le dogme d’Origène donne plus de bornes à la justice divine que le dogme des sociniens, puisque ceux-ci mettent à la fin des peines un acte de sévérité, savoir l’annihilation du pécheur, au lieu qu’Origène y met un acte d’une souveraine bonté, savoir le transport des esprits damnés dans la jouissance de la souveraine béatitude : vous voyez bien, dis-je, qu’il observe cette différence ; mais il ne la développe pas avec autant d’exactitude que M. Saurin l’a développée. Bien davantage, il se fait une objection qu’il eût pu ruiner par la remarque de M. Saurin, et néanmoins il se sert d’une tout autre réponse. Il suppose[1] qu’on lui dira que la réjection de la Trinité n’est pas aussi pernicieuse à la république, que la réjection de l’éternité des peines ; et il se contente de répondre qu’il ne faut point juger par cette règle si une hérésie est fondamentale, ou si elle ne l’est pas ; car autrement il faudrait dire que des erreurs très-grossières et très-honteuses ne seraient qu’une vétille, attendu qu’elles sont très-propres à tenir en bride les citoyens[2]. Voilà toute sa réponse. Il a oublié ce qu’il y avait de meilleur à dire sur cette objection : il n’a point dit que le sentiment d’Origène est plus pernicieux à la république que celui des Sociniens ; le sentiment, dis-je, d’Origène, que M. Jurieu regarde comme une erreur digne d’excuse[3]. Si Larébonius avait fait la réflexion de M. Saurin, il aurait tiré à brûle-pourpoint sur son adversaire. Rapportons encore un passage du pasteur d’Utrecht. « M. Jurieu veut bien excuser les erreurs d’Origène à cause de son grand zèle ; mais si quelqu’un nous venait aujourd’hui débiter les rêveries de cet ancien, M. Jurieu ne se croirait obligé à aucun support. Si ces rêveries sont des hérésies et des impiétés qui changent l’enfer en un purgatoire, et qui anéantissent par ce moyen la crainte des peines éternelles et la crainte de Dieu, pourquoi les doit-on supporter dans Origène ? Où est le grand zèle de ce docteur, s’il a été hérétique et docteur d’hérésie ? Si ces erreurs n’étaient pas fondamentales dans Origène et dans le troisième siècle, par quelle machine sont-elles devenues fondamentales dans le dix-septième siècle et dans les docteurs modernes ? Nous verrons bientôt qu’il y a de la différence entre l’opinion d’Origène et celle des sociniens sur les peines de l’enfer, et que cette différence dont M. Jurieu veut tirer l’avantage pour Origène, lui est tout-à-fait désavantageuse[4]. »

Si l’auteur du Janua cælorum ne s’est pas servi de ses avantages, M. Saurin, d’autre part, a laissé passer à son homme deux grosses fautes : l’une est d’avoir imputé aux sociniens qu’ils enseignent que l’âme meurt avec le corps, l’autre que leur sentiment sur la destruction de l’âme est l’impiété épicurienne. La première de ces deux fautes est un mensonge, ou plutôt une calomnie[5]. La deuxième est une ignorance inexcusable. La secte socinienne n’enseigne pas que les mechans ne souffriront rien après cette vie ; elle dit seulement que leurs peines cesseront enfin par l’anéantissement de leur âme. Et quand même il se trouverait quelque auteur socinien[6], qui enseignerait que leur âme est anéantie dès qu’elle quitte le corps son sentiment ne serait pas celui d’Épicure : car ce philosophe croyait, d’un côté que les dieux n’ont aucune part ni à la mort ni à la vie des hommes ; et de l’autre, que l’âme meurt avec le corps, parce qu’elle ne consiste que dans un certain mélange

  1. Carus Larebonius, in Januâ cælorum reseratâ, pag. 97.
  2. Alioquin mutatis vicibus pro innocuis deberemus habere errores non paucos crassissimos atque fædissimos, undè multum emolumenti capit respublica, in multas perturbationes casura per introductionem quarundam veritatum.
  3. Voyez Saurin, Examen de la Doctrine de M. Jurieu, pag. 682.
  4. Saurin, là même, pag. 683, 684.
  5. On en avertit cet auteur, l’an 1690, dans l’Avis sur le Tableau du Socinianisme, pag. 44.
  6. Il s’en trouve quelques-uns.